LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Palladio, Andrea
Fréart de Chambray, Roland |
Titre |
Les quatre livres de l’architecture d’André Palladio... |
Adresse |
Paris, E. Martin, 1650 |
Localisation |
Tours, Cesr, SR/46 (4045) |
Mots matière |
Antiquités, Architecture, Architecture privée, Ordres, Traité |
English
Roland Fréart de Chambray est l’auteur de la première traduction intégrale du traité d’architecture de Palladio : en 1645, Pierre Le Muet n’avait publié que le premier livre, dans une version librement adaptée à l’usage français. Achevée vers 1641, la traduction de Chambray avait vu sa publication retardée par la disgrâce (1643) puis la mort (1645) du commanditaire, son cousin le surintendant des bâtiments François Sublet de Noyers. Elle ne parut qu’en 1650 chez Edme Martin, peu de temps après le Parallèle. Les deux ouvrages s’inscrivaient dans une politique culturelle ambitieuse qui visait entre autres à légiférer en matière de création littéraire et artistique. Il fallait remettre l’architecture dans le droit chemin et pour cela donner des règles précises et des modèles à imiter, antiques et modernes. Palladio qui dans le Parallèle apparaît comme « le premier entre ceux de la profession », était le seul architecte moderne à incarner l’architecture régulière prônée par le pouvoir ; en tant que tel il était l’antidote parfait aux extravagances maniéristes contemporaines comme celles de la façade de l’église professe des Jésuites, Saint-Paul-Saint-Louis. La critique du Parallèle adressée aux architectes qui ignorent sciemment les règles et la raison, reprend littéralement le chapitre « Degli abusi » des Quattro libri (I, 20). Sublet avait donc chargé Chambray de rendre intelligible aux Français le traité du théoricien italien, « dans la pensée qu’il avait de faire connaître, en même temps par la théorie et par la pratique, la noblesse de l’Architecture régulière : et de bannir cette capricieuse et monstrueuse façon de bâtir, que quelques modernes ont malheureusement introduite comme une hérésie dans l’art, par je ne sais quel libertinage contre ses préceptes et la raison même » (Dédicace à ses frères).
Dans l’édition parisienne, la dédicace de Chambray remplace celle de Palladio au comte Angarano ; celle du livre III à Philibert de Savoie est supprimée. La traduction, d’une sobre élégance, est précise mais plus littéraire que celle de Le Muet. Chambray, qui connaît parfaitement l’italien (il s’apprête à publier l’année suivante la traduction du Trattato della pittura de Léonard de Vinci), intervient rarement et lorsqu’il le fait, il indique entre parenthèses son interprétation. Il corrige les erreurs relevées dans certaines inscriptions latines et restitue leur découpage originel. L’ajout d’un index à la fin du volume, un outil indispensable selon lui, atteste son souci de servir au mieux ses lecteurs. Tout au plus il modernise certaines localisations : l’expression palladienne « per andare in Piazza Giudea » est ainsi librement interprétée « proche le quartier des Juifs » (I, 28). Le traducteur toutefois n’est pas à l’abri de distractions : il donne par exemple à la hauteur de l’imposte de l’arcade ionique le double de la largeur du pilastre, qui, selon Palladio, a pour hauteur « la metà di più di quel ch’é grosso il pilastro » (I, 16). En réalité les rares erreurs que l’on peut imputer à Chambray tiennent au fait que n’étant pas architecte il n’a pas toujours su donner l’équivalent de certains termes techniques, comme l’ont noté les membres de l’Académie d’architecture lorsqu’ils consacrèrent leurs premiers travaux à la lecture du traité de Palladio. En l’occurrence Chambray ne s’est pas inspiré de la traduction de son devancier Le Muet qui eût été pourtant un guide sûr pour le premier livre.
En raison des circonstances politiques, Chambray avait dû renoncer aux gravures sur cuivre originellement prévues et partiellement réalisées. Il eut la chance « inespérée », selon ses propres termes, de disposer des planches originales de Palladio qu’il fit venir de Venise. Or dans l’envoi se trouvaient trois planches qui n’avaient pas été utilisées pour l’édition italienne. Selon Chambray, elles n’avaient sans doute pu être terminées à temps par le graveur pour figurer dans le traité. L’une représente le plan et l’élévation d’une villa, la seconde et la troisième le plan et l’élévation d’un temple dorique (temple dit « de la Piété »). Le Français les inséra dans les livres II et IV dont elles relevaient, pour rendre le traité conforme au projet de leur auteur, tout en les distinguant des illustrations de l’édition originale : elles figurent donc à la fin de chacun des livres, accompagnées de leur commentaire, en italique.
Contrairement à la traduction, partielle, de Le Muet qui connut un grand succès, attesté notamment par les nombreuses contrefaçons hollandaises, la traduction de Chambray ne fut pas rééditée. La disgrâce de Sublet, après la mort de Richelieu (1642) qui avait promu une politique artistique relayée par des institutions telles que l’Académie française créée en 1635, celle enfin de Louis XIII l’année suivante interrompirent brutalement l’activité de la coterie dite des « Intelligents » dont Chambray avait été jusqu’ici le porte-parole. Le retard dans la publication du Parallèle et de la traduction des Quattro libri limitèrent incontestablement leur influence. La suprématie théorique de Palladio, proclamée dans le Parallèle, n’eut pas de répercussion sur la pratique des architectes français, qui empruntèrent souvent leurs modèles à Vignole. Mais Palladio fut le premier théoricien étudié par l’Académie après Vitruve. Il est incontestable que la traduction de Chambray fut considérée comme une référence, pour être confrontée avec le texte original. Les Académiciens n’utilisent ni ne citent celle de Le Muet qu’ils auraient pu comparer à celle de Fréart, ne serait-ce que pour le livre I. C’est de fait à travers le Parallèle et la traduction du traité que dans la seconde moitié du XVIIe siècle Palladio fut connu, loué ou critiqué.
Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2006
Bibliographie critique
R. Fréart de Chambray, Parallèle de l’architecture antique avec la moderne (Paris, 1650), Édition critique établie par F. Lemerle, suivie de l’Idée de la Perfection de la peinture, édition établie par M. Stanic, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2005.
F. Lemerle, « À propos des trois planches de Palladio insérées par Fréart de Chambray dans sa traduction des Quattro libri », Annali di Architettura, 9, 1997, p. 93-96.
F. Lemerle, Les quatre livres de l’Architecture d’Andrea Palladio (traduction de Fréart de Chambray, Paris, 1650), Paris, Flammarion, 1997, Introduction, p. I-XI (rééd. : Paris, Flammarion, 2002).
F. Lemerle, « Les Quattro libri dell’Architettura d’Andrea Palladio, à Venise en 1570 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire Active, 2004, p. 397-398.
F. Lemerle, « L’Accademia di architettura e il trattato di Palladio (1673-1674) », Annali di archittetura, 12, 2000, p. 117-122.
F. Lemerle, « À l’origine du palladianisme européen : Pierre Le Muet et Roland Fréart de Chambray », Revue de l’art, 178, 2012-4, p. 43-47.
F. Lemerle & Y. Pauwels, Architectures de papier. La France et l’Europe, suivi d’une bibliographie des livres d’architecture (XVIe-XVIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p. 112-116.
C. Mignot, « Palladio et l’architecture française du XVIIe siècle », Annali di architettura, 12, 2000, p. 107-115.
Notice
Les quatre livres de l’architecture d’André Palladio. Mis en François. Dans lesquels, aprés un petit traitté des cinq ordres, avec quelques-unes des plus nécessaires observations pour bien bastir, il parle de la construction des maisons particulieres, des grands chemins, des ponts, des places publiques, des xystes, des basiliques, & des temples. - A Paris : De l’imprimerie d’Edme Martin, ruë S. Jacques, au soleil d'or, 1650.
[2] f., 329 p., [3] f : ill., front., grav. sur bois ; 36 cm. (fol.) Dédicace et privilège. Titre dans un encadrement. Signatures : a2 A-H4 I2 K-Z4 2A6 2B-2T4. Index.
Traduit par Roland Fréart, sieur de Chambray. 162 figures gravées sur bois à pleine page, et de très nombreuses figures de plus petit format dans le texte. Ces illustrations proviennent de la première édition de l’ouvrage de Palladio publié à Venise en 1570, avec bois gravés par Cristoforo Coriolano, Giovanni et Cristoforo Chrieger, et autres artistes. Trois planches inédites (Lemerle 1997).
Berlin Katalog 2596 ; Brunet IV, col. 321 ; Fowler 218 ; RIBA 2398.
Tours, Cesr, SR/46 (n° inventaire : 4045).
*Note :
- Ex-libris « antonii Trollier ».
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