LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Colonna, Francesco
Béroalde de Verville, François |
Titre |
Le tableau des riches inventions... |
Adresse |
Paris, M. Guillemot, 1600 |
Localisation |
Tours, Cesr SR/3A (4023) |
Mots matière |
Architecture, Jardins |
English
Le texte
qui paraît chez Mathieu Guillemot à Paris en 1600 ouvre
un nouveau volet de la carrière de l’Hypnerotomachia
Poliphili de Francesco Colonna, déjà devenu, pour
les lecteurs français, le Poliphile, depuis la traduction
de Jean Martin parue chez Kerver en 1546 et 1554. Cette nouvelle version
est préparée par François Béroalde de Verville,
auteur de plusieurs romans foisonnants et maniéristes dans le
goût du temps, et qui imprime sa marque sur le texte de Colonna
dès le titre, puisqu’il n’est plus question ni d’Hypnerotomachia
Poliphili ni même du simple Songe de Poliphile de
Martin, mais du Tableau des riches inventions couvertes du voile
des feintes amoureuses, qui sont représentées dans le
Songe de Poliphile, desvoilées des ombres du songe et subtilement
exposées. Ce titre est à lui seul une déclaration
d’intentions : plutôt qu’une simple traduction de
l’Hypnerotomachia, Béroalde affirme
présenter au public une nouvelle lecture du texte, en quelque
sorte la seule véridique qui en découvre le sens caché.
La traduction
de Jean Martin, élaborée comme un élément
d’une série de traductions de textes italiens ou latins
d’architecture, valorisait l’importance des « fantaisies
» sur l’antique, au point de générer une tradition
d’études du texte comme manuel d’architecture ou
d’art des jardins qui n’est pas dans l’esprit de l’original,
quelle que soit la place réelle de ces descriptions. Ce poids
d’une lecture architecturale a bien été saisi par
Béroalde : suivant la fiction du Chevalier de Malte qui aurait
amené la traduction à Jean Martin, il ne manque pas de
souligner deux fois dans la préface Aux beaux esprits
que ce chevalier a « tiré la substance [du livre]
surtout en ce qui est de l’Architecture, où il fait paroistre
son scavoir », ligne de lecture qui ne correspond sans doute plus
au goût du temps puisque il s’agit d’un point «
en quoy le chevalier maltois s’est parfois exagéré
». Béroalde va donc proposer une autre lecture du Poliphile,
la lecture alchimique, qui est peut-être encore moins dans l’esprit
de l’original que la lecture architecturale, mais qui assurera
elle aussi l’inusable carrière de ce livre étrange
et foisonnant.
L’essentiel
de cette nouvelle interprétation est contenu dans les liminaires
qui précèdent le texte proprement dit. En effet, après
une dédicace assez formelle à Pierre Brochard, seigneur
de Marigny, « Monsieur mon Moecenas », Béroalde ajoute
une épître Aux beaux esprits qui arrêteront les
yeux sur ces projets de plaisir sérieux, où le texte
est immédiatement présenté comme un « tableau
» de « ce qu’il y avoit de bon es occultes replis
de la stéganographie ». Béroalde avoue donc ici
avoir été principalement attiré par les discours
cachés, notamment quand ils prennent la forme dans le Poliphile
des compositions hiéroglyphiques présentées dans
certaines illustrations. Il ouvre ainsi la voie à une interprétation
du livre comme discours à clef philosophique et secrète,
se plaisant à l’obscur si obscur qu’on peut même
douter qu’il le soit, comme le montre cet autre passage de l’épître
: «[l’auteur] paroist fort peu être Alquemiste,
et ce n’est qu’au discours de sa lampe, et des filets de
soye, et du verre filé, mais tant secrettement que peu s’en
faut qu’il soit le secret mesme pour taire le secret ».
Se montre ici toute l’ambiguïté, si ce n’est
la roublardise, de l’esprit de Béroalde, capable de construire
une lecture à succès sur une forme d’habile trompe-l’œil
peut-être dénoncé par lui-même.
Une seconde
pièce, plus franchement alchimiste encore, suit l’épître
Aux beaux esprits : le Recueil stéganographique contenant
l’intelligence du frontispice de ce livre. Ce texte renvoie
en effet à la troisième, ou première, pièce
alchimiste du livre, c’est-à-dire le frontispice voulu
par Béroalde et réalisé par Mathieu Guillemot.
Le Recueil stéganographique en donne des clés
de lecture dans un assez long texte qui est une sorte de réécriture
béroaldienne du Poliphile, puisqu’il en reprend
la structure initiatique (voyage de temple en temple à la rencontre
de personnages-seuils, jusqu’à la Nymphe Olocrirée
et à la découverte de l’amour et du Maître)
à forte connotation alchimique. La série des liminaires
se termine sur une suite de poèmes d’escorte conformes
aux habitudes du temps.
Si l’on
regarde pourtant la matière même du livre, on constate
tout d’abord que les illustrations sont celles de l’édition
Kerver, reprises à l’identique aux mêmes endroits
du texte. On voit aussi que Béroalde, contrairement à
ses affirmations, n’a pas véritablement retraduit le texte,
et n’a sans doute guère confronté la traduction
de Jean Martin avec l’original. Son texte est en fait un toilettage
de la traduction de 1546 : de-ci de là, il gomme une expression
vieillie, ou une tournure lourde, tente de rendre la lecture plus fluide
dans une langue pour la pratique de laquelle cinquante ans d’écart
représentent encore une variable forte. Par ce traitement de
second éloignement de l’original, la version de Béroalde
devient véritablement ce qu’il en dit lui-même, «
non plus que le tout n’est qu’une imitation », plus
qu’une véritable traduction.
Le Tableau
des riches inventions de Béroalde, s’il n’est
évidemment pas totalement étranger à l’Hypnerotomachia
Poliphili de Francesco Colonna, en est donc plus un nouvel avatar
qu’une fidèle image : à partir de la construction
alchimiste du frontispice, s’ouvre une nouvelle carrière
pour le livre, celle du « discours secret », qui ne va que
renforcer de plus belle sa réputation d’obscurité
et d’inaccessible, et générer de nouvelles études
frôlant parfois l’extravagance. À la critique moderne
le devoir de remettre en perspective dans l’histoire du texte
ces lectures non tant dévoyées que fabriquées,
à partir des goûts et des modes de leur temps.
Martine Furno (Université Stendhal Grenoble 3
– CERPHI, Ens LSH Lyon) – 2008
Bibliographie critique
Béroalde de Verville (1556-1626), Cahiers V. L. Saulnier, 13, Paris, Pens, 1996.
F. Colonna, Le songe de Poliphile, traduction de Jean Martin
(1546), présentée, translittérée et annotée
par G. Polizzi, Paris, Editions de l'Imprimerie nationale, 1994.
A. Blunt, « The Hypnerotomachia Poliphili in the 17th
Century in France », Journal of the Warburg Institute,
vol. 1, 2 (oct. 1937), 1937-1938, p. 117-137.
M. Furno, Une « fantaisie » sur l’Antique : le
goût pour l’épigraphie funéraire dans l’Hypnerotomachia
Poliphili de Francesco Colonna, Genève, Droz, 2003.
G. Polizzi, « Poliphile ou les combats du désir », H. Brunon (éd.) Le jardin, notre double, Paris, Autrement, Série Mutations, 1999, 184, p. 81-100.
Notice
Le Tableau des riches inventions couvertes du voile des feintes
amoureuses : qui sont representees dans le Songe de Poliphile /
desvoilees des ombres du Songe, & subtilement exposees par Beroalde
A Paris : Chez Mathieu Grillemot, au Palais, en la gallerie des prisonniers,
1600. – [20], 154, [6] f. ill., Titre gravé allégorique
en taille douce, 181 figures gravures sur bois. In-4°. Signatures :
[19-] 154 [-6] f. (Sig. *-5*Œ4, A-ZŒ4, Aa-RrŒ4 ; 5*Œ4
bl.).
Pièces de vers de G. de Tours, Hurel, Le Digne, J. P. de
Mesmes. - Avec privilège du Roy.
Attribué à Francesco Colonna, l’ouvrage parut à
Venise chez Alde Manuce en 1499. La première édition française
date de 1546 publiée par Jacques Kerver. 4° tirage des bois
de Kerver.
Brunet
IV, col. 779.
Variante du titre : Hypnerotomachia Poliphili
Tours, CESR, Cote SR/3A (n° d’inventaire : 4023)
*Note :
- Reliure maroquin rouge, double filet doré aux plats et dos.
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