LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Auteur(s) |
Bullant, Jean |
Titre |
Petit traicte de geometrie et d’horologiographie pratique |
Adresse |
Paris, G. Cavellat, 1562 |
Localisation |
|
Mots matière |
Géométrie, Quadrature |
Consultation de l’ouvrage
|
|
|
English
Le 2 janvier
1562, le libraire parisien Guillaume Cavellat signe un contrat d’édition
avec Jean Bullant. Il reprend à son compte le privilège
royal qui avait été accordé à l’architecte
le 14 janvier 1561 « pour ung petit traicté de geometrye
et orlogiographie – il figure dans le Recueil d’horlogiographie
imprimé en 1561 par Jean Bridier pour Vincent Sertenas –
et lui achète « six cens dudit livre de orologiographie
que ledit vendeur avoit fait imprimer suyvant ledit privilege avec les
figures qu’il avoit dicelluy, le tout pour cent livres tournois
» (Archives nationales, Minutier central, LXXIII, 26). Guillaume
Cavellat dispose aussi d’un petit traité de géométrie
que vient de rédiger Bullant. De ces deux traités, il
fait un recueil qu’il publie en 1562 puis en 1564.
Dans son
avis au lecteur Bullant indique qu’il s’agit de rendre les
règles de la géométrie « familières
aux artisans, comme elles sont aux gens doctes et plus curieux »
et que l’horologiographie et plus généralement tous
les arts libéraux dépendent « du premier degré
des belles disciplines et noble science de géométrie ».
Cependant on chercherait en vain dans ce traité de géométrie
des considérations utiles aux graveurs de cadrans solaires ou
des renvois aux constructions du traité de géométrie
dans le traité de gnomonique. L’ouvrage est rédigé
en français, ce qui, s’agissant d’un texte scientifique,
n’est pas une nouveauté pour l’époque, mais
est suffisamment rare pour être souligné. Bullant se met
ainsi à la portée des artisans qui, comme lui, n’entendent
pas le latin. Surtout, il s’inscrit dans une lignée de
savants qui, comme Oronce Fine (1494-1555), Charles de Bovelles (1471-1556),
Pierre Ramus (1515-1572) ou Jacques Peletier du Mans (1517-1583), tentèrent
de « replanter en notre plaine française » pour reprendre
l’expression de du Bellay, un peu de leur savoir mathématique.
Dans la
géométrie de Bullant, l’influence d’Oronce
Fine est particulièrement marquée. On sait que ce dernier
professa longtemps les mathématiques au collège royal.
On le considère généralement comme le restaurateur
des mathématiques en France, même s’il fut plus un
vulgarisateur qu’un mathématicien novateur. C’est
ainsi que le rondeau qui figure à la quatrième page du
traité de Bullant n’est pas de l’invention de ce
dernier, mais a été rédigé par Oronce Fine
pour la Géométrie pratique de Charles de Bovelles
éditée en 1551, chez Simon de Colines. Cette influence
est aussi sensible dans le choix des problématiques traitées
par Bullant et tout particulièrement celle relative à
la quadrature du cercle, déjà bien (mal)traitée
par Fine.
Aristote
avait émis l’opinion qu’avec la règle et le
compas, on pouvait, en un nombre fini d’étapes, dessiner
un carré de même aire que celle déterminée
par un cercle donné. Bien que dès 1544, le mathématicien
Michael Stifel ait propagé l’idée de l’impossibilité
de carrer un cercle, de nombreux géomètres, et non des
moindres, proposèrent des solutions, évidemment fausses.
Le modeste Jean Bullant s’attaque lui aussi à ce problème
mais propose seulement de « réduire la superficie ronde
à la superficie carrée, au plus juste que m’a été
possible ». S’il s’inscrit dans la lignée des
quadrateurs, reconnaissons qu’il ne s’affirme que comme
un quadrateur approximatif, ce qui devrait lui valoir l’indulgence
des géométres les plus sévères.
Bullant traite d’abord de la quadrature du rectangle (d’une
manière originale et parfaitement exacte), non démontrée,
certes, mais bien exemplifiée, puis de la quadrature de divers
triangles (isocèle ou équilatéral, rectangle isocèle
et enfin scalène) et de celle du losange. Il résout ensuite
le problème inverse qui consiste à construire plusieurs
rectangles ayant même aire que celle d’un carré donné.
Ceci fait, Bullant tente de construire, au plus juste, un segment ayant
même longueur que la circonférence d’un cercle ou
d’un arc de cercle (la rectification du cercle est un problème
connexe à la quadrature du cercle), et inversement de construire
un arc dont la longueur est donnée par un segment.
Ces constructions
sont originales, simples, et clairement expliquées grâce
aux figures qui les accompagnent. En effectuant les calculs, mais ce
n’est pas le souci de Bullant qui reste dans le cadre strict de
la géométrie de la règle et du compas, on trouve
des valeurs approchées de П très acceptables. Ces constructions
déterminent des segments de longueurs différentes pour
la rectification d’un même arc. On peut donc supposer que
Bullant est conscient qu’aucune construction n’est juste.
Ensuite, il rectifie et carre l’ovale (figure géométrique
formée par quatre cercles dont les centres forment deux triangles
équilatéraux adjacents) et propose deux solutions pour
la rectification et la quadrature du cercle, mais ses approximations
sont moins bonnes que les précédentes. Enfin et hélas,
il utilise mal une quadrature du cercle préconisée par
Oronce Fine pour proposer une cubature de la sphère franchement
mauvaise.
Les quatre
dernières pages du traité sont plus disparates. Le géomètre
redevient architecte pour bien proportionner une porte d’église
et l’osteau qui la surplombe, puis se fait arpenteur pour mesurer
une longueur sur un terrain à l’aide d’une équerre
de maçon. Le procédé décrit s’inspire,
sans qu’il y ait plagiat, de ceux qu’expose Fine dans son
ouvrage de 1556 sur La composition et usage du quarré géométrique.
Ce traité
de géométrie est tout à fait dans la ligne des
« gens doctes et curieux » qui en ce siècle approfondissent
l’étude des mathématiques en y apportant leur petite
touche d’originalité, autant par inclination personnelle
que par nécessité professionnelle. On a donc affaire à
un « maçon cultivé » pour reprendre l’expression
d’Yves Pauwels mais aussi à un de ces intermédiaires
culturels qui vont changer le statut social des connaissances en les
vulgarisant et en les utilisant comme moyen de promotion. En rédigeant
son ouvrage en français et en employant une pédagogie
efficace (notamment par l’emploi de figures), Bullant diffuse
ses connaissances et les rend accessibles à de nouvelles couches
sociales. Mais il les utilise aussi pour valoriser son métier
et le positionner le plus haut possible sur l’échelle des
arts libéraux. Pour ce faire il n’insiste pas sur l’aspect
directement utilitaire des mathématiques pour le maçon
ou le fabricant de cadrans solaires. Au contraire, tout en s’excusant
hypocritement « de son débile et petit entendement »,
il n’hésite pas à aborder des questions agitées
par les plus habiles mathématiciens de son époque. Il
se trouve que malheureusement parmi ces questions la quadrature du cercle
n’était pas à la portée des géomètres
de la Renaissance. Il en résulte un certain désintérêt
du lecteur moderne pour cette géométrie naïve et
peu rigoureuse dont certains résultats sont faux. Or elle a joué
un rôle important tant il est vrai que, même dans ce domaine,
les erreurs sont des étapes indispensables sur le chemin de la
vérité. Avec ce traité, Jean Bullant fit un modeste
parcours sur ce chemin.
À
la suite du traité de géométrie est relié
le Recueil
d’horlogiographie daté de 1561. En effet Guilaume
Cavellat avait racheté à Bullant six cents exemplaires
de son traité de gnomonique.
Jean-Pierre Manceau (Tours) – 2009
Bibliographie critique
J. d’Hombres, « La mise à jour
des mathématiques par les professeurs royaux », A. Thuilier (éd.), Histoire
du Collège de France. La création 1530-1560, Paris,
Fayard, 2006, p. 377-420.
J.-P. Manceau, « La place des mathématiques dans les écrits
de Jean Bullant et Philibert De l’Orme », Journal de
la Renaissance, 6, 2008, p. 161-172.
P. Renouard, Imprimeurs et libraires parisiens du XVIe siècle,
Fascicule Cavellat, Marnef et Cavellat, Paris, Bibliothèque nationale, 1986, p. 5, 14, 152,
n° 176.
|