LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Blum, Hans |
Titre |
Quinque columnarum exacta descriptio atque delineatio…
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Adresse |
Zurich, C. I Froschauer, 1550 |
Localisation |
Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 A civ 24d |
Mots matière |
Ordres |
English
Hans Blum est né à Lohr am Main en Basse-Franconie vers 1520 et mort vers 1560 à Zurich, où sa présence est attestée entre 1549 et 1553. Il y exerça probablement la profession de graveur sur bois et a peut-être travaillé en tant qu’architecte. L’ouvrage qu’il publie en 1550, en latin sous le titre Quinque columnarum exacta descriptio et en allemand, Von den fünff Sülen Grundlicher bericht est l’un des plus intéressants mais aussi des plus méconnus traités sur les ordres parus à la Renaissance. Le succès européen du livre est étonnant : dès 1551, une traduction française parue à Anvers ouvre une longue série de rééditions en allemand, français, néerlandais et anglais. Blum est avec Dürer, Vredeman de Vries, Androuet du Cerceau et De l’Orme l’un des rares auteurs non italiens mentionnés par Vincenzo Scamozzi dans son traité (Idea dell’architettura universale, 1615, I, I, p. 18). En 1624 Louis Savot le mentionne encore dans la « bibliographie » de son Architecture françoise des bastiments particuliers (« Joannis Blum descriptio 5. Columnarum », p. 324).
Quoique rédigé en latin, l’ouvrage est explicitement destiné aux ouvriers et artisans, non seulement bâtisseurs mais aussi sculpteurs de toutes sortes, peintres, orfèvres ou graveurs qui ont besoin d’utiliser les ordres. Blum réutilise scrupuleusement le répertoire de Serlio : les cinq ordres apparaissent tels que le Bolonais les a décrits dans ses Regole generali de 1537, traduites en néerlandais dès 1539, en français et allemand dès 1542. Mais, et la différence est essentielle, alors que Serlio se contente d’expliciter le système de proportion dans le texte, Blum le met sous les yeux des lecteurs par un système de repères graphiques, règles graduées et portions de cercles, qui permettent à tout un chacun de comprendre les rapports de proportions de l’ordre et de ses parties au seul examen de la gravure, sans qu’il soit nécessaire de se reporter au texte imprimé – et donc de savoir lire. Ce faisant, Blum s’inspire peut-être du principe d’un autre ouvrage destiné aux artisans, l’Inventie der colommen publiée à Anvers en 1539 par Pieter Coecke : l’avisé éditeur flamand avait sans doute compris que le livre de Serlio, dont il publiait la même année une luxueuse traduction, était plus destiné aux riches amateurs qu’aux ouvriers peu ou pas lettrés. Mais la réalisation de Blum est infiniment plus efficiente que celle de Pieter Coecke, car elle est plus claire et plus lisible ; surtout, elle reprend les efficaces paradigmes serliens, oubliant les modèles de Cesariano auxquels l’Anversois restait encore fidèle.
La conséquence première du parti pris graphique est que les illustrations doivent être suffisamment grandes pour que les indications géométriques demeurent lisibles. Aussi Blum choisit-il de répartir la représentation de chaque ordre en deux planches : entablement, chapiteau et haut de la colonne sur la première, piédestal, base et partie basse de la colonne sur la seconde, le texte étant rejeté sur le côté. Dans les éditions ultérieures, la présentation sera améliorée par la mise en place de feuilles dépliantes permettant d’imprimer l’ensemble de l’ordre sur une seule page sans perdre en précision.
L’une des originalités du traité de Blum est de présenter non pas cinq mais sept modèles de colonnes : une toscane, une dorique, deux ioniques, deux corinthiennes et une composite. Chez Serlio, modèle de Blum, la présentation des ordres pouvait conduire à dédoubler les représentations des trois ordres grecs (dorique, ionique et corinthien), car le Bolonais présente des versions différentes de l’ordre : avec ou sans piédestal, avec ou sans cannelures sur le fût, avec ou sans mutules ou modillons dans la corniche. Blum reprend avec pertinence les alternatives serliennes, mais on comprend mal pourquoi il ne l’a pas fait pour le dorique comme pour l’ionique et le corinthien. Cela l’aurait amené à présenter huit modèles : le chiffre sept lui a-t-il paru symboliquement plus intéressant ?
Autre particularité : le fait de disposer les cannelures des colonnes de telle façon qu’il y ait dans l’axe du chapiteau non pas une cannelure, comme c’est le cas dans la plupart des traités (et le plus souvent dans la réalité) mais une arête. Seul Jean Bullant adoptera dans son traité des ordres ce parti rare, témoignant ce faisant de sa connaissance du traité allemand. Le texte en lui-même n’apporte guère de faits nouveaux par rapport à son modèle serlien. Une curieuse idée apparaît toutefois à propos de l’ordre toscan, qui aurait été utilisé selon Blum par les « anciens Romains et Vénitiens » (« veteres Romani & Veneti usi sunt »). Peut-être une confusion entre Venise et Florence ? Ou une allusion à Vitruve et à Serlio ? En tout cas, cette mention des Vénitiens à propos du toscan sera reprise en France par Hugues Sambin dans son Œuvre de la diversité des termes (Dijon, 1572) : « il [le toscan] consiste des vraies proportions dont usaient les antiques, et principalement les Romains, et Vénitiens, qui se délectaient d’en user comme d’un ouvrage qui approche plus de la nature ordinaire d’un homme endurci au travail » (p. 8), ce qui indique que Sambin a lu Blum. La dédicace à Andreas Schmidt, édile de Zurich, paraphrase Vitruve sur l’origine des ordres ; y apparaît en outre un héros mythique nommé Toscano, évoqué à propos de l’ordre toscan et d’une généalogie flatteuse pour les Germains : « Post inventionem nominatarum columnarum Tuscana originem sumpsit, teste Plinio, antiquum columnae genus. Namque Tusci a Graecis ortum habere perhibentur, quapropter etiam magna ex parte cum dorica convenit. Tradunt autem architecti quidam, à Tuscano hanc denominatam, qui Germanorum generis author esse fertur ». Autrement dit, l’ordre toscan, qui est le plus ancien des ordres, remonte aux Grecs, ancêtres des Toscans – à moins qu’il ne doive son nom à un certain Toscano, lui-même ancêtre des Germains ou « Tütschen », dont la version allemande précise qu’il est un géant, ce qui explique l’aspect massif et puissant de l’ordre désormais considéré comme « allemand ». Ces préoccupations nationales sont bien contemporaines de celles qui devaient amener Philibert De l’Orme, en France, à créer un « ordre français ».
Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2009
Bibliographie critique
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T. Hänsli, « Hans Blums “Von den fünff Sülen grundtlicher Bericht” : einige Bemerkungen zu den Quellen und der Druckgeschichte », Scholion. Mitteilungsblatt der Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, 3, 2004, p. 181-186.
T. Hänsli, « Exacta descriptio atque delineatio – Remarques sur la fonction attribuée aux illustrations dans le traité de Hans Blum Von den fünff Sülen grundtlicher Bericht », Études de lettres, fasc. 4, 2006, p. 11-27.
Y. Pauwels, Aux marges de la règle. Essai sur les ordres d’architecture à la Renaissance, Wavre, Mardaga, 2008, p. 42-43.
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