LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Binet, Étienne
Titre
Essay des merveilles de nature...
Adresse Rouen, R. de Beauvais, 1621
Localisation Paris, BnF, Z-3996 (Gallica)
Mots matière Architecture
Transcription du texte

English

     Grand œuvre du père Étienne Binet, qui signe « René François » pour signifier sa double naissance, né en tant que Français puis « re-né » en tant que Jésuite, l’Essay des merveilles de nature, et des plus nobles artifices se présente comme « un traité de rhétorique dont le bouquet de « peintures » s’offre au remploi, pourvoyant chemin faisant l’orateur paresseux d’une ample moisson de termes rares et techniques » (Fumaroli 1994, p. 265). Manuel à vocation pratique, le lourd volume, héritier des libri locorum de la tradition pédagogique classique, propose en effet de nombreux chapitres dédiés aux objets les plus hétéroclites, de la vénerie, premier sujet traité, à l’arc en ciel, qui conclut l’ouvrage. Dans ce curieux compendium apparaissent un chapitre sur l’architecture (ch. 17) et un autre sur la perspective (ch. 18). Le but avoué de l’entreprise est la constitution d’un savoir minimum, qui empêchera les orateurs de se trouver embarrassés dans les controverses. Il ne s’agit pas d’utiliser ces connaissances pour briller et faire parade de science, mais d’éviter que « faute de sçavoir le propre mot de quelque chose, [les orateurs aillent] tournoyant autour du pot, & par une perifrase languissante, ou une grande trainée de paroles, ils [fassent] pitié à l’auditeur qui reconnoit qu’ils sont au bout du monde, & au bout de leur François ».
Le chapitre sur l’architecture, composé d’énumérations et de définitions, se présente comme une suite de notes de lecture enrichies d’illustrations, dont l’origine est sans doute la plus récente édition de Vitruve disponible, celle publiée à Genève par Jean III de Tournes en 1618. C’est une combinaison de la traduction de Jean Martin et de la version française de la Digression sur les ordres de Guillaume Philandrier parue pour la première fois en latin au sein des Annotationes en 1544, rééditées par Jean I de Tournes à Lyon en 1552, puis à Genève en 1586. Plusieurs illustrations en sont complètement ou partiellement reprises : la partie basse de l’encadrement du titre de l’édition de 1586, réutilisé en 1618, constitue le socle de l’étrange « pièce d’architecture » de la page 405 ; l’imposte de la page 397 copie la page 190 du Vitruve, et les « ouvrages » de la page 398 viennent directement de la page 203. Le schéma de volute que Binet propose à la page 377 reprend celui de la Digression (p. 81). L’idée de dresser la liste de l’ensemble des parties de l’ordre toscan en les énumérant de haut en bas (p. 381) est inspirée elle aussi de la Digression de Philandrier (p. 75-76).
Mais si Binet s’inspire des bons auteurs – quoiqu’il ignore Vignole, dont les premières traductions voient le jour dans les années 1620 – son illustrateur semble tout ignorer de l’architecture. Les gravures grossières sont d’une naïveté surprenante et d’un archaïsme qui évoque les vieilles éditions de Sagredo. Certaines reprennent les structures de 1618, mais avec des interprétations qui prouvent une inculture certaine. La « pièce d’architecture » de la page 405 superpose sans la moindre cohérence deux frises doriques, portées par des colonnes à l’ordre indéfinissable et aux proportions monstrueusement trapues. La frise dorique et le denticule représentés page 380 n’ont aucune vraisemblance ; la travée de la page 401 fait porter l’arc par des impostes suspendues totalement irréalistes. L’ensemble des formes représentées n’a aucun rapport avec la réalité de la pratique architecturale contemporaine.
L’architecture ne devait pas être la pierre de touche de la culture jésuite en France, car la qualité très discutable des informations relatives à l’art de bâtir proposées par Binet n’empêcha pas son livre de connaître d’innombrables rééditions.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2012


Bibliographie critique

R. Crescenzo, Peintures d'instruction : la postérité littéraire des Images de Philostrate en France, de Blaise de Vigenère à l'époque classique, Genève, Droz, 1993, p. 202-210.

M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et res litteraria de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Paris, Albin Michel, 1994 [1ère éd. : Droz, 1980], p. 265-271.

M. Fumaroli, « Éloquence sacrée et littérature. L’Essay des merveilles d’Étienne Binet », Exercices de lecture, de Rabelais à Paul Valéry, Paris, Gallimard, 2006, p. 62-110.

G. Genette, « Mots et merveilles », Figures I, Paris, Seuil, 1966, p. 171-183.

P. Laurens, « Au tournant du siècle, une synthèse fragile : L’essay des merveilles du P. Binet », J. Lafond/A. Stegmann, L’automne de la Renaissance : 1580-1630, Paris, Vrin, 1981, p. 65-80.