LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Besson, Jacques |
Titre |
L’art et science de trouver les eaux et fontaines... |
Adresse |
Orléans, P. Trepperel, 1569 |
Localisation |
Besançon, Bibliothèque municipale, 248115 |
Mots matière |
Hydrologie |
English
L’art
et science de trouver les eaux et fontaines cachées soubs terre
autrement que par les moyens vulgaires des Agriculteurs & Architectes,
par Jaques Besson Dauphinois, Mathematicien fut publié à
Orléans en 1569. Il y en eut deux tirages, l’un au nom
de l’imprimeur, Éloi Gibier, et l’autre à celui du
libraire, Pierre Trepperel, avec sa marque gravée sur métal
et sa devise, In silentio fortitudo. Tous deux, protestants,
éditèrent leurs coreligionaires, parfois anonymement.
Contrairement à Éloi Gibier, Pierre Trepperel fut victime
de la Saint-Barthélémy. Malgré son succès,
ce petit ouvrage ne connut pas d’autre édition avant le
tirage réalisé pour le quatrième centenaire de
sa parution avec une préface par Joseph Alfred Aurele La Rocque
(géologue et paléontologue).
La première
mention que nous en avons se trouve dans un ouvrage de Besson publié
en 1567 à Paris, chez Philippe de Roville, Le cosmolabe ou
instrument universel… Dans l’avertissement au lecteur,
Besson dresse un « catalogue des meilleures, plus subtiles et
plus-necessaires » de ses inventions. La dix-neuvième annonce
L’art et science de trouver les eaux… : «
a trouvé l’art de connoistre où il y ha des fontaines,
sous terre, et ce presque aussy facillement la nuit que le jour, l’hyver
que le chault-temps, et ce sans aucun signe fallace, des plantes, ou
des vapeurs de la Terre mais seulement se servira de la face et constitution
des lieux ». En 1567 le projet de livre est donc assez avancé
pour que Besson en donne une description.
La première
question que l’on peut se poser est celle de la compétence
de Besson en la matière. Les domaines dans lesquels il s’est
illustré sont celles de distillateur, de mathématicien
et d’ingénieur. Son premier ouvrage, publié à
Zurich en 1554 en latin, est inclus dans le volume publié par
Conrad Gesner, le celèbre De secretis remediis liber aut
potius thesaurus, Evonymo Gesnero Philiatro authore... accedit iam
recens Jacobi Bessoni galli, De absoluta ratione olea et aquas e medicamentis
simplicibus extrahendi Liber doctissimus, nunquam ante hac inlucem aeditus.
Le succès du Thesaurus facilita sans doute celui du
petit ouvrage de Besson qui fit l’objet de plusieurs autres publications,
traductions et augmentations. Notons simplement que ce petit traité
pratique d’extraction d’huiles médicamenteuses a
été reconnu par la postérité comme un des
premiers exemples de mise en œuvre de la iatrochimie. Et sans doute
devons-nous pointer ici et dès son point de départ, la
grande constante de l’œuvre de Besson qui est le recours
à des pratiques et modèles mathématiques dans des
vues d’efficacité, de « pertinence » pratique. En effet, Besson est avant tout un mathématicien – c’est
ainsi qu’il est présenté dans les titres de ses
divers ouvrages. Comme « ingénieux », il œuvra
à des expertises ou des réalisations de machines dès
les années 1550 et jusqu’en 1562 à Lausanne, Berne
puis Genève. On a ainsi retrouvé dans le procès-verbal
d’une séance du conseil de Lausanne, tenue le 13 août
1557, la mention selon laquelle ont été délivrés
« à M. Jaques Besson lingenieux deux escus tant pour l’engein
de leaue par luy delivré aulxd. Seigneurs comme pour commencement
de don pour l’invention des fontainnes ».
On peut
ainsi penser que les connaissances de Jacques Besson en matière
d’hydrologie s’appuient sur l’expérience pratique
de l’« invention » c’est-à-dire de la
découverte de fontaines. C’est bien ce qu’il confirme
à la fin de la dédicace de l’ouvrage à François
d’Entrague de Balzac, affirmant de cette science qu’il l’a
« des longtemps pratiquee & experimentee en divers pays ».
Il est aussi fort probable que Besson s’est perfectionné
en la matière durant son séjour au Pradel auprès
d’Olivier de Serres. En effet, alors qu’il était
citoyen de Genève (1561), la pénurie de pasteurs en France
était telle que l’on fit appel aux huguenots réfugiés
dans la cité. Olivier de Serres insista auprès du conseil
de la ville pour que le pasteur envoyé de Villeneuve de Berg
soit Jacques Besson. Celui-ci, malgré ses réticences –
il se sentait peu de dispositions pour la fonction (« importuné
par le moyen dudict Olivier tant vous que les autres pères de
Genève pour m’avoir leur Ministre » écrit-il)
– dut s’y résoudre et, de mars 1562 à mars
1564 il demeura à Villeneuve de Berg avec sa famille. Trois ans
plus tard, il avait déjà mis au point son livre d’hydrologie.
L’ouvrage
se caractérise par son ambition théorique. Dans la préface
au lecteur, Besson annonce son intention de commencer « par les
causes premières, plus que par les seuls effects ou signes, qui
sont fallaces ». Suit l’énumération de ces
signes trompeurs sur lesquels s’appuient habituellement agriculteurs
et architectes. Indices des joncs et autres plantes, de certaines espèces
de pierres, ou encore vols de moucherons, vapeurs au soleil levant et
certaines expériences faites communément à l’aide
de bassins, de lampes, de laine, pour déceler l’humidité
souterraine. Mais « infailliblement tout cela est fallace le plus
souvent : car l’on trouve maintes fois par telles indications,
qu’eau qui est decoulee des pluyes… » (préface,
n. p.). Les erreurs manifestes que suscite la prise en compte de tels
signes, inclinent, comme le propose Besson, à « y proceder
autrement & plus asseurement, assavoir par les causes premieres,
ensemble les signes, & non seulement par signes, entendu que les
deux rendent l’art plus demonstratif qu’un chacun tout seul
» (ibid.).
On trouve
la même énumération de tels « signes frauduleux
» dans le livre VII du Théâtre d’agriculture
d’Olivier de Serres (1600), qui y dénonce « telles
farfanteries, inventées pour confondre l’œuvre et
se rendre admirables ». Il recommande plutôt se fonder «
és choses asseurées, & sur lesquelles, comme presque
les touchant au doigt, l’homme d’esprit asserra solide jugement
» ( p. 757). Ceci posé par l’un et l’autre,
le propos d’Olivier de Serres se distingue immédiatement,
signalant que pour lui il n’est pas à propos « de
discourir de l’origine des fontaines, de leurs essors, de la propriété
de leurs eaux, medecinales, malignes, voire miraculeuses », «
telle curieuse philosophie surpassant l’entendement de l’homme
des champs, qui a plustost besoin d’eau pour sa maison que de
paroles pour repaistre son entendement » (ibid.). Or
c’est précisément le projet de Besson dans L’art
et science de trouver les eaux... C’est aussi celui de
Bernard Palissy, en 1580, dans son dialogue des Discours admirables
entre Théorique et Pratique. Sur ce sujet de l’origine
des fontaines, l’un et l’autre s’accordent à
rejeter la thèse, classique, de l’origine marine de toutes
les eaux. Palissy contre « un si grand nombre de Philosophes,
qui disent que toutes les eaux viennent de la mer, et qu’elles
y retournent », propose une doctrine toute nouvelle » (Oeuvres
complètes, Blanchard, 1961, p. 158). Cette doctrine est
celle « que toutes les sources des fontaines et fleuves ne procedent
d’autre chose que des eaux de pluyes, chose fort esloignée
de toute opinion commune ». À vrai dire, la doctrine n’est
pas toute nouvelle, puisque l’on doit à Jacques Besson
de l’avoir défendue dès 1569 dans le chapitre VIII
de son Livre premier : « comment et quand les eaux vives
des fonteines, & des ruisseaux, & lacs, & rivieres qui s’ensuivent
ont eu leur commencement, & vont continuellement en la mer, sans
qu’elle croisse ou diminue, & en reviennent aussi, mais autrement
que par soubs terre, à la façon qu’aucuns ont mal
pensé » (p. 22). Ainsi, c’est dans ce petit livre
que pour la première fois fut défendue la version correcte
du cycle hydrologique.
Le second
point intéressant de l’ouvrage concerne la méthode
utilisée par Besson et les arguments pour la justifier. C’est
une méthode, dit-il, de mathématicien – plutôt
que de physicien ou de théologien – même s’il
fait la part belle à « l’Eternel » comme cause
première du cycle de l’eau. Soulignant la difficulté
de procéder à des expériences qui permettent la
vérification sensible des hypothèses, il s’appuie
sur les données de la mécanique pour en quelque sorte
produire un modèle dont la validité tient tout à
la fois, selon lui, au fait qu’il est le seul à rendre
raison du cycle de l’eau et à rendre compte des lieux où
on trouve des eaux et fontaines. Il aboutit ainsi à une sorte
de géomorphologie des sites probables.
Si donc
il rejette la thèse qui prévaut depuis l’antiquité,
à savoir que les eaux qui sortent de sous la terre proviennent
de la mer, ses raisons sont de pure mécanique et les modèles
théoriques qu’il utilise pour mener ses arguments sont
retenus quand bien même ils n’ont pas prétention
à la vérité, mais bien à l’efficacité.
Pour asseoir ce raisonnement, il s’appuie sur d’autres cas
de tels usages des mathématiques, et tout particulièrement
sur le modèle de Copernic qui, alors même qu’il est
« du tout repugnant à nature », « ne laisse
de parvenir à la mesme fin et compte » du mouvement des
planètes que le modèle de Ptolémée, et «
souvent plus exactement ». Ainsi, « sauver les apparences
» par des « hypothèses plus probables que nécessaires
» produit une « science très grande et utile »,
ce qui est la fin qu’on se propose. Une hypothèse même
fausse, si elle permet de construire un modèle du phénomène
qui permet de dégager des données calculables et d’appliquer
les principes et les règles de la mécanique pour déterminer
un calcul de proportions, peut conduire à la maîtrise des
effets, ce qui est le but de l’art. On ne peut manquer de voir
dans cette conception du modèle théorique probable et
efficace le recours à la méthode « mécanique
», c’est-à-dire tout à la fois mathématique
et artificielle, qui précède la physique mécanique.
Qui la précède en effet dans la mesure où Besson
affirme qu’il prononce en mathématicien et non en physicien,
ou théologien, c’est-à-dire qu’il se refuse
à prétendre connaître la vérité de
la nature et de Dieu. Néanmoins, ses hypothèses et calculs
procèdent selon un va-et-vient constant entre les expériences,
qui sont souvent l’examen des effets, mais peuvent être
aussi des montages expérimentaux et des règles et principes
de raisonnement mathématiques. Et cela vaut aussi bien dans ses
travaux de distillateur, puisque l’on reconnaît en lui un
des pionniers d’une iatrochime entendue comme « médecine
chimique qui n’a pour but que l’opération »
(Nicolas Lefèvre, Cours de chimie, p. 23), une opération
réglée selon des grandeurs calculables, de même
que dans cet ouvrage sur la quête des eaux et fontaines cachées
sous terre, et enfin, bien entendu, que dans ses livres d’instruments
et de machines.
Hélène Vérin (Cnrs, Paris) –
2008
Bibliographie critique
J. Besson, L’art et science de trovver les eaux et fontaines
cachees sovbs terre, nouveau tirage du texte de 1569, relevé
sur l’exemplaire de l’Université Cornell, Ithaca,
New York, E.U.A, préface de J. A. A. La Rocque,
Columbus, Ohio, Coral, 1969.
A. G. Keller, « The Missing Years of Jacques Besson, Inventor
of Machines, Teacher of Mathematics, Distiller of Oils, and Huguenot
Pastor », Technology and Culture, 14, 1, janvier 1973,
p. 28-39.
Notice
L'art et science de trouver les eaux et fontaines cachées soubs
terre, autrement que par les moyens vulgaires des agriculteurs et architectes
/ par Jaques Besson... Orléans : P. Trepperel, 1569.
85 p. ; in-4°.
Besançon, Bibliothèque d’étude et de conservation,
248115.
*Note :
- Reliure veau.
|