LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Vitruve
Perrault, Claude
Le Clerc, Sébastien (graveur), et alii.
Titre
Les dix livres d’Architecture de Vitruve... Seconde edition reveuë, corrigée, & augmentée
Adresse Paris, J.-B. Coignard, 1684
Localisation Besançon, Bibliothèque municipale, 11604
Mots matière Architecture, Hydraulique, Machines
Transcription du texte

English

     Onze ans après la première édition de la traduction commentée et illustrée de Vitruve publiée en 1673 chez Jean-Baptiste Coignard, Claude Perrault offre au public une édition augmentée et enrichie, tout aussi luxueuse que la précédente. Entre-temps il a publié l’Abrégé de Vitruve (1674) et l’Ordonnance des cinq espèces de colonnes (1683) qui lui avait permis de répondre à ses détracteurs, en particulier François Blondel qui n’avait pas manqué de le critiquer dans son Cours d’architecture (1675). La position hétérodoxe de Perrault sur le caractère artificiel des proportions architecturales et sa condamnation sans appel des corrections optiques vitruviennes en effet lui avaient valu une forte inimitié de la part des hommes de l’art. La seconde édition lui offre une nouvelle tribune pour répondre notamment au directeur de l’Académie d’Architecture (p. 205, n. 1). Il renvoie par ailleurs le lecteur à l’Ordonnance (p. 3, n. 6 ; p. 82, n. 24 ; p. 205, n. 1...), mais aussi à ses Essais de physique parus entre-temps (p. 158, n. 8 ; p ; 161, n. 15 ; p. 258, n. 14...). C’est aussi l’occasion d’actualiser ses notes et d’introduire trois nouvelles planches sur cuivre (annoncées dans l’Avertissement). Les légendes des planches existantes sont développées (p. 33, pl. V ; p. 42, pl. VI ; p. 106, pl. XXIII) ou les planches elles-mêmes sont enrichies de figures supplémentaires (p. 58, pl. VII ; p. 82, pl. XVII). Plus rarement Perrault corrige une interprétation antérieure (p. 31, n. 4). C’est également de façon plus ténue la possibilité d’affiner sa conception de l’architecture, en critiquant les pratiques contemporaines ou passées tout en célébrant les œuvres auxquelles il a été lui-même associé (Colonnade du Louvre, 1667-1668 ; Observatoire, 1667-1672 ; arc de triomphe pour la place du Trône, partiellement réalisé). Il raille le goût de l’architecture gothique pour le merveilleux, avec ses colonnes « très-longues & tres-menuës, pour soutenir de grandes voutes qui retombent sur des impostes en cul-de-lampe suspendües en l’air » (p. 42 n. 2). Le doublement des colonnes blâmé par Blondel (1675, IIIe partie, l. I, ch. 10-12, p. 228-240) donne ainsi lieu à une très longue note (p. 79-80, n. 16) qui fait écho aux justifications présentées l’année précédente dans l’Ordonnance : il ne s’agit pas d’une « licence » mais au contraire d’une invention moderne. Car le doublement du support permet d’établir une sixième disposition, qui doit être ajoutée aux cinq décrites par Vitruve : pycnostyle, systyle, eustyle, diastyle, aréostyle (p. 78-80, n. 16). Du reste « les Modernes », Italiens et Français, les ont aimées (p. 80, n. 16). Les Anciens ne les ont pas adoptées pour la seule raison qu’ils ne disposaient pas des moyens techniques pour mettre en œuvre des architraves de longue portée, ni les engins qui permettaient d’amener les pierres, de les élever et de les positionner sans heurt (p. 339, n. 4).
Bien que l’édition de 1684 ait paru à nouveau chez J.-B. Coignard dans un format identique (in-folio), elle est moins soignée que la première. On y trouve des erreurs de pagination, des coquilles surprenantes (Ruscovi pour Rusconi, Beruin pour Bernin). Enfin la qualité des cuivres est moindre (ce qui expliquerait le succès de l’édition de 1673). Seules les gravures ajoutées signalées par des astérisques sont de belle facture, comme l’élévation perspective et le plan des Piliers de Tutelle à Bordeaux dues à Pierre Le Pautre (p. 219, pl. **), qui s’inspira en l’occurrence des dessins exécutés par Perrault lui-même lors de son voyage à Bordeaux en 1669 (Paris, BnF, ms. fr. 24713, ff. 127v°-128). C’est aujourd’hui la représentation la plus achevée de cet insigne édifice qui venait d’être sacrifié par Louis XIV, avec tout le quartier, pour aménager une nouvelle citadelle en remplacement du Château Trompette. En choisissant l’antiquité bordelaise pour donner l’image d’un entablement dépourvu de frise et de corniche Perrault entend corriger les illustrations connues laissées par Androuet du Cerceau (Paris, BnF, Ed. 2b) et Élie Vinet dans son commentaire d’Ausone paru en 1574 (p. 217-218, n. 8). Deux autres illustrations sur cuivre (pl. **** et pl. *****) sont ajoutées dans le livre IX entre les planches 64 et 65. La première (p. 337) représente une machine de son invention pour lancer les bombes (p. 333, n. 2) ; la seconde (paginée par erreur 339 au lieu de 341) réunit les deux engins qui ont été utilisés pour amener les pierres nécessaires à la Colonnade du Louvre ainsi qu’un troisième qui avait été proposé pour ce chantier mais non retenu, qu’il avait sans doute conçu. La note volumineuse qui accompagne cette fois la planche (p. 339, n. 4) lui permet sans doute d’attirer une fois de plus l’attention sur l’une des réalisations les plus prestigieuses auxquelles il a participé, mais ce faisant, il fournit, avec un luxe de détails étonnant, l’une des rares images « techniques » de l’art des bâtisseurs du XVIIe siècle. On regrette d’autant plus que planches qui auraient dû être signalées (*) et (***) n’aient pas été réalisées. Plusieurs xylographies sont ajoutées dans l’appareil de notes.
Perrault mourut quatre ans après cette seconde édition. Charles venait de perdre le faveurs de Colbert peu avant la disparition du ministre et ne parvint pas à gagner la confiance de Louvois, son successeur à la surintendance des Bâtiments. Si  l’édition intégrale de Vitruve ne rencontra pas le succès international de l’Abrégé, le texte complet de 1684 fut repris, à peine modifié, par de nombreux éditeurs du XIXe et du XXe siècle, au nombre desquels on peut citer au moins le livre de la Collection des auteurs latins dirigée par Charles Nisard (Paris, 1866). Cette édition populaire, qui contenait aussi les écrits de Celse, Censorinus et Frontin, contribua beaucoup à la survie et à la diffusion du Vitruve de Perrault.

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2011

 

Bibliographie critique

G. Germann, Vitruve et le vitruvianisme. Introduction à l’histoire de la théorie architecturale, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1991 (1ère éd. : Darmstadt, 1987).

W. Herrmann, La théorie de Claude Perrault, Bruxelles/Liège, Mardaga, 1980 (1ère éd. : Londres, Zwemmer, 1973).

F. Lemerle, La Renaissance et les antiquités de la Gaule, Turnhout, Brepols, 2005, p. 103-104.

F. Lemerle, « D’un Parallèle à l’autre. L’architecture antique : une affaire d’État », Revue de l’Art, 170, 2010-4, p. 31-39.

F. Lemerle, « Vitruve, Vignole, Palladio et les autres : traductions, abrégés et augmentations au XVIIe siècle », Architecture et théorie. L’héritage de la Renaissance, Tours, Cesr, 3-4 juin 2009/Paris, École d’architecture de Paris-Malaquais, 5 juin 2009.

F. Lemerle, « La face cachée du Vitruve de Claude Perrault (1673, 1684) », M. Chaufour & S. Taussig (éd.), La cause en est cachée, Études offertes à Paulette Choné par ses élèves, ses collègues et ses amis, Turnhout, Brepols, 2013, p. 447-455.

A. Picon, Claude Perrault, 1613-1688 ou la curiosité d’un classique, Paris, Picard, 1988.



 

 

Notice

Les dix livres d'architecture de Vitruve corrigez et traduits nouvellement en françois, avec des notes & des figures. Seconde édition reveuë, corrigée & augmentée. Par M. Perrault,...- A Paris : chez Jean-Baptiste Coignard, 1684.
[18], 354, [16] p., [1] f. de pl. (frontispice) : ill. ; 2º.
Illustrations dans le texte : gravures sur cuivre et sur bois. Les gravures sur cuivre sont signées G. Scottin, J.-J. Tournier, N. Pitau, G. Edelinck, P. Le Pautre, P. Vanderbank, J. Grignon, S. Le Clerc, E. Gantrel.
Besançon, Bibliothèque municipale, 11604.
*Notes :
- Reliure veau raciné, doré : filet triple (plats), fers (dos), tranches mouchetées, gardes papier marbré, XVIIIe siècle.
- Ancienne bibliothèque publique de Saint-Vincent de Besançon.