LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Onze ans après la première édition de la traduction commentée et illustrée de Vitruve publiée en 1673 chez Jean-Baptiste Coignard, Claude Perrault offre au public une édition augmentée et enrichie, tout aussi luxueuse que la précédente. Entre-temps il a publié l’Abrégé de Vitruve (1674) et l’Ordonnance des cinq espèces de colonnes (1683) qui lui avait permis de répondre à ses détracteurs, en particulier François Blondel qui n’avait pas manqué de le critiquer dans son Cours d’architecture (1675). La position hétérodoxe de Perrault sur le caractère artificiel des proportions architecturales et sa condamnation sans appel des corrections optiques vitruviennes en effet lui avaient valu une forte inimitié de la part des hommes de l’art. La seconde édition lui offre une nouvelle tribune pour répondre notamment au directeur de l’Académie d’Architecture (p. 205, n. 1). Il renvoie par ailleurs le lecteur à l’Ordonnance (p. 3, n. 6 ; p. 82, n. 24 ; p. 205, n. 1...), mais aussi à ses Essais de physique parus entre-temps (p. 158, n. 8 ; p ; 161, n. 15 ; p. 258, n. 14...). C’est aussi l’occasion d’actualiser ses notes et d’introduire trois nouvelles planches sur cuivre (annoncées dans l’Avertissement). Les légendes des planches existantes sont développées (p. 33, pl. V ; p. 42, pl. VI ; p. 106, pl. XXIII) ou les planches elles-mêmes sont enrichies de figures supplémentaires (p. 58, pl. VII ; p. 82, pl. XVII). Plus rarement Perrault corrige une interprétation antérieure (p. 31, n. 4). C’est également de façon plus ténue la possibilité d’affiner sa conception de l’architecture, en critiquant les pratiques contemporaines ou passées tout en célébrant les œuvres auxquelles il a été lui-même associé (Colonnade du Louvre, 1667-1668 ; Observatoire, 1667-1672 ; arc de triomphe pour la place du Trône, partiellement réalisé). Il raille le goût de l’architecture gothique pour le merveilleux, avec ses colonnes « très-longues & tres-menuës, pour soutenir de grandes voutes qui retombent sur des impostes en cul-de-lampe suspendües en l’air » (p. 42 n. 2). Le doublement des colonnes blâmé par Blondel (1675, IIIe partie, l. I, ch. 10-12, p. 228-240) donne ainsi lieu à une très longue note (p. 79-80, n. 16) qui fait écho aux justifications présentées l’année précédente dans l’Ordonnance : il ne s’agit pas d’une « licence » mais au contraire d’une invention moderne. Car le doublement du support permet d’établir une sixième disposition, qui doit être ajoutée aux cinq décrites par Vitruve : pycnostyle, systyle, eustyle, diastyle, aréostyle (p. 78-80, n. 16). Du reste « les Modernes », Italiens et Français, les ont aimées (p. 80, n. 16). Les Anciens ne les ont pas adoptées pour la seule raison qu’ils ne disposaient pas des moyens techniques pour mettre en œuvre des architraves de longue portée, ni les engins qui permettaient d’amener les pierres, de les élever et de les positionner sans heurt (p. 339, n. 4). Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2011
Bibliographie critique
G. Germann, Vitruve et le vitruvianisme. Introduction à l’histoire de la théorie architecturale, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1991 (1ère éd. : Darmstadt, 1987). W. Herrmann, La théorie de Claude Perrault, Bruxelles/Liège, Mardaga, 1980 (1ère éd. : Londres, Zwemmer, 1973). F. Lemerle, La Renaissance et les antiquités de la Gaule, Turnhout, Brepols, 2005, p. 103-104. F. Lemerle, « D’un Parallèle à l’autre. L’architecture antique : une affaire d’État », Revue de l’Art, 170, 2010-4, p. 31-39. F. Lemerle, « Vitruve, Vignole, Palladio et les autres : traductions, abrégés et augmentations au XVIIe siècle », Architecture et théorie. L’héritage de la Renaissance, Tours, Cesr, 3-4 juin 2009/Paris, École d’architecture de Paris-Malaquais, 5 juin 2009. F. Lemerle, « La face cachée du Vitruve de Claude Perrault (1673, 1684) », M. Chaufour & S. Taussig (éd.), La cause en est cachée, Études offertes à Paulette Choné par ses élèves, ses collègues et ses amis, Turnhout, Brepols, 2013, p. 447-455. A. Picon, Claude Perrault, 1613-1688 ou la curiosité d’un classique, Paris, Picard, 1988.
Notice
Les dix livres d'architecture de Vitruve corrigez et traduits nouvellement en françois, avec des notes & des figures. Seconde édition reveuë, corrigée & augmentée. Par M. Perrault,...- A Paris : chez Jean-Baptiste Coignard, 1684. |