LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Derand, François |
Titre |
L’architecture des voutes... |
Adresse |
Paris, S. Cramoisy, 1643 |
Localisation |
Besançon, Bibliothèque municipale, 11598 |
Mots matière |
Stéréotomie, voutes |
English
François
Derand est né à Vic-sur-Seille dans le diocèse
de Metz entre 1588 et 1591. Il entre en 1611 au noviciat des Jésuites
de Rouen. De 1613 à 1615, il fait ses études de philosophie
au collège des Jésuites de La Flèche, où
il professe les mathématiques de 1618 à 1621. Il est ordonné
prêtre en 1621. De 1622 à 1629, il est à Rouen.
Dans les années 1625-1626, il est également mentionné
comme « maître ès œuvre de l’église
» du collège de Rennes. Il est consulté pour la
reconstruction de la cathédrale d’Orléans. En 1629,
il est appelé à Paris pour achever l’église
de la maison professe commencée par le frère Étienne
Martellange. En 1633, il est cité dans le marché de construction
du retable du maître-autel de l’église des Jésuites
de La Flèche ; il exerce un contrôle sur l’exécution
menée par Pierre Corbineau, le célèbre retablier
de Laval. En 1643, après avoir publié son traité,
Derand quitte Paris pour Agde, appelé par l’évêque
François Fouquet, le frère du surintendant. Il meurt
à Agde en 1644 ; il est enterré au collège de Béziers.
Le titre
d’architectus porté par Derand sur le chantier
de l’église de sa maison professe ne prouve pas que le
père possédait tout le savoir d’un professionnel.
Sur le chantier même, il a été constamment assisté
par un praticien. Derand n’était probablement qu’un
deviseur, un donneur d’idées et de projets. Le seul dessin
conservé qui soit sûrement de lui concerne l’église
du collège des Jésuites de Paris ; il n’est pas
magistral, c’est le moins que l’on puisse en dire. Derand
est également intervenu de 1622 à 1629 comme præfectus
fabricæ, toujours assisté d’un praticien, dans
l’église des Jésuites de Rouen, dont la construction
était commencée depuis 1615. Peut-être son intervention
s’est-elle limitée à couvrir le vaisseau central
de voûtes d’ogives, une technique médiévale
à laquelle les Jésuites ont eu souvent recours : elle
permettait l’utilisation optimale du savoir-faire des maçons,
qui maîtrisaient tous parfaitement cette technique ; en outre,
elle restait associée dans l’esprit des Français
au passé chrétien de la Fille aînée de l’Église.
François
Derand ne traite pourtant que très rapidement de la voûte
d’ogives, sans doute parce qu’elle était trop connue,
dans L’architecture des voûtes, son traité
de stéréotomie publié en 1643, qui est son chef-d’œuvre
: chef-d’œuvre non pas d’un praticien de l’architecture,
mais d’un savant mathématicien, un des fondateurs de la
science du trait ou stéréotomie, qui est l’art de
produire des structures complexes de pierres de taille, notamment des
surplombs et des couvrements dans lesquels, par l’artifice du
clavage, la pesanteur travaille contre elle-même.
L’art
du trait a été une spécialité française,
comme nous avons tenté de le démontrer dans la partie
de notre Architecture à la française (1982) intitulée
« La stéréotomie, pierre de touche de la manière
française ». Philibert De l’Orme a été
le premier à publier dans son Premier tome de l’architecture
(1567) le répertoire extraordinairement varié des arcs,
voûtes et supports appareillés qui constituent un «
topique » de l’architecture française. Le traité
de Derand clarifie l’analyse de ces ouvrages, matérialisation
d’exercices de la géométrie descriptive. Modestement,
Derand écrit : « les pratiques et autres connaissances
que nous prétendons vous déduire en cet ouvrage, de prime
abord et à la première vue que vous en aurez, ne produiront
peut-être que des ténèbres ou si peu de lumières
en votre esprit que si vous n’y prenez garde, vous pourriez vous
en dégoûter bientôt ». C’est que cette
science rendue publique avec l’invention de l’imprimerie
était en partie constituante de l’arcanum magisterium,
le secret professionnel des maçons.
En 1642,
Mathurin Jousse avait publié à La Flèche Le
secret d’architecture, découvrant fidèlement
« les traits géométriques, couppes et dérobemens
nécessaires dans les bastiments », qui, avec un an d’avance,
avait ravi à Derand l’avantage d’avoir publié
le premier ouvrage entièrement consacré à la stéréotomie.
Le traité de Jousse est médiocrement édité,
et peut-être fait pour une bonne part d’emprunts à
l’enseignement de Derand au collège de La Flèche
ou même d’un pillage de son manuscrit en cours de rédaction.
« Une pièce concernant le même sujet et mise au jour
depuis six mois ou environ sous le titre le secret d’architecture
m’a prévenu et surpris au milieu de mon impression »
écrit Derand dans sa préface, « mais je l’ai
reconnue fautive ». Les récents travaux de François
Le Bœuf ont fait apparaître que Jousse n’était
pas, comme on le croyait, un maître maçon ou un architecte,
mais un maître serrurier et un marchand, un bourgeois aisé
et érudit qui a compté parmi les fournisseurs du collège
de La Flèche. L’hypothèse d’un démarquage
s’en trouve confirmée.
Derand cite
également dans sa préface le Brouillon projet d’exemples
d’une manière universelle de Girard Desargues, le
célèbre mathématicien. Celui-ci ne prétendait
pas donner, comme Philibert De l’Orme, Jousse ou Derand, un «
recueil de plusieurs pièces » sans lien entre elles, mais
bien résoudre tous les problèmes particuliers de la stéréotomie
par une sorte de règle, la « manière universelle
». Avec Desargues, la technique s’efface entièrement derrière la sience, alors que Derand écrit : « l’on ne peut raisonnablement exiger de nos opérations une
rigueur telle qu’on la recherche d’ordinaire ès matières
de géométrie purement spéculative ». Il recommande
l’usage de la cerce rallongée, qui ne doit rien à
la géométrie, mais tout au génie pratique de l’appareilleur.
La démonstration de Desargues est restée incomprise des
maçons, tandis que le traité de Derand figure dans toutes
les bibliothèques des architectes.
La technique
de la voûte est un art. Derand a beau insister sur le fait que
la voûte permet de couvrir des espaces hors de portée des
poutres, qu’elle résiste mieux au feu que la charpente,
il a beau reconnaître que les planchers peuvent être splendidement
ornés, « néanmoins les voûtes ont toujours
je ne sçay quoy de noble ». D’ailleurs, les voûtes
de Derand sont ornées ; l’ornementique de Derand est un
sujet en soi. On sait qu’il est l’auteur de la façade
de l’église professe de Paris, aujourd’hui Saint-Paul-Saint-Louis,
souvent considérée, du fait de sa surcharge ornementale,
comme le parangon du « style jésuite ». Il est probablement
l’auteur des ornements des parties hautes et des voûtes
de cette église, qui présentent d’évidentes
analogies avec les cartouches de « style auriculaire » qui
contiennent les titres des planches du traité. Sont-ils de Derand
? Ou d’ornemanistes des années 1630 comme Jean Barbet,
Pierre Collot ou Alexandre Francine ? Ou même de Mathurin Jousse
? Les ouvrages de serrurerie de Jousse appartiennent au répertoire
de ce style, et Jousse a eu une activité de graveur d’estampes.
L’hypothèse d’une collaboration de Jousse à
la publication de Derand, qui lui aurait permis de le démarquer
dans son propre traité, est-elle soutenable ? On observe dans
l’ensemble des cartouches de L’architecture des voûtes
plusieurs manières différentes : y a-t-il eu abandon progressif
du style auriculaire ou collaboration simultanée d’artistes
divers ?
L’architecture
des voûtes a été rééditée
deux fois au XVIIIe siècle à Paris en 1743 et 1755.
Jean-Marie Pérouse de Montclos (Cnrs, Paris) –
2009
Bibliographie critique
F. Le Bœuf, « Mathurin Jousse, maître serrurier à
La Flèche et théoricien d’architecture (vers 1575-1645) », In situ, 1, 2001.
F. Le Bœuf, introduction à la réédition de
Mathurin Jousse, Le Théâtre de l’art de Charpentier,
Bibliothèque de l’architecture française, J.-M. Pérouse de Montclos (éd.), Paris, Éditions
de l’Académie d’Architecture, 2003.
P. Moisy, Les églises des Jésuites de l’ancienne
assistance de France, Rome, Bibliotheca Instituti Historici S.
I., 1958, 12. 2 tomes.
J.-M. Pérouse de Montclos, L’architecture à
la française. Du milieu du XVe siècle à la fin
du XVIIIe siècle, Paris Picard, 2001 (1ère éd. : Paris,
1982).
Notice
L’Architectvre Des Vovtes, Ov L’Art Des Traits, Et Covpe Des Vovtes:
Traicté Tres-Vtil, Voire Necessaire A Tovs Architectes, Maistres
Massons, Appareilleurs, Tailleurs de pierre, Et Generalement A Tovs
Cevx Qvi Se Meslent De L’Architectvre, mesme Militaire.
A Paris, Chez Sebastien Cramoisy, Imprimeur ordinaire du Roy, rue Sainct
Iacques, aux Cicognes. [Single rule] Avec Privilege De Sa Maiesté.
1643/
Par le R. P. François Derand de la Compagnie de Iesus.
[I-XXVIII], 453, [3] p. ; planches gravées ; 2º.
Berlin Katalog 2539 ; Cicognara 490 ; Fowler 101 ; Guilmard p. 54 ; RIBA
844.
Besançon, Bibliothèque municipale, 11598.
*Note :
- Reliure Veau.
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