GALLIA ROMANA

Database of texts and images
Of Gallo-Roman antiquities (15th-17th centuries)

Notice

Ville Nîmes (Gard, 30)
Subject(s) Amphitheatre
 
Author(s) Deyron, Jacques
  Antiquarian from Nîmes (16.. ?-1677)
Resource type Printed book
Date 1656
Inscription
References Deyron 1656, pp. 50-57, 74-77, 102-104
Bibliography

Fiches/Veyrac 1996, pp. 336-350 ; Gros 1996, pp. 335-336 ; Lemerle 2005, pp. 85-86 ; Lemerle 2013-2

Remarks

A very slightly modified version of this text is contained in the 1663 edition of Deyron's book (pp. 34-37, 96-101, 144-146)

Transcription 

« Ce qui est icy appellé les Arenes, est vn fameux Amphiteatre, qui nous reste presque tout entier, apres quinze ou seize siecles. Il fut anciennement construit par les Romains […]. [51] Ses habitans auoient par priuilege le droit Latin, comme atteste l’Histoire : Vn Capitole qui subsiste encore ; Vn Champ de Mars, verifié par nos anciens Actes : Et sur tout cet excellent Amphiteatre, qui fait l’admiration & l’estonnement de tous ceux qui le voyent. Il a esté tousiours nommé les Arenes, pour le moins depuis que les Romains nous cederent aux Gots, comme se void en tous les lieux de l’Histoire qui en parlent, & en tous les Actes qui me sont tombez en main ; à cause du Sable ou Arene dont on couuroit son sol pour boire le sang des Gladiateurs, & des esclaues que l’on y exposoit aux bestes sauuages. Cet excellent bastiment est composé de deux rangées d’Arcades, qui [52] forment deux galeries ouuertes ; l’vne sur l’autre de soixante arcs à chacune, faisans cent nonante-cinq canes de circonference. Quatre de ces Arcades des costez du Leuant, du Couchant, du Septentrion & du midy, estoient directes & suiuoient le sol à plain pied, pour donner entrée au lieu des exercices. Les autres cinquante-six arcades de chaque galerie, auoient alterniuement vne autre visée : L’vne par vne voûte sousterraine, donnoit descente par en bas aux acqueducs, aux esclaues, & aux animaux dévoüez aux spectacles ; l’autre par vne autre voûte, donnoit montée en haut par vn degré à repos. De ce repos, qui estoit au milieu de la montée, sur cinq ou six petits degrez, on entroit par vne porte à la plus basse rangée des sieges, qui regnoient à l’entour de l’Amphiteatre : Et du mesme repos par deux autres montées, vne à chaque costé de l’arcade, on arriuoit à la deuxiesme galerie ouuerte. C’estoit la voye du commun peuple : Les plus qualifiez montoient en dehors de l’Amphiteatre par vn Perron, & entroient à la deuxiesme galerie ouuerte, par vne des arcades du costé du Septentrion. De cette deuxiesme galerie, on montoir à vne troisiesme galerie, de la mesme façon que de la galerie basse on estoit monté à la deuxiesme. C’est à sçavoir, qu’à l’vne des arcades [53] receuoit alternatiuement la montée de la galerie basse, & l’autre donnoit la montée aux sieges de l’Amphiteatre par vn semblable degré à repos. De ce repos par cinq ou six autres petits degrez on entroit à d’autres sieges : Et par deux autres montées, vne à chaque costé de l’arcade, on montoit à vne troisiesme galerie. Cette troisiesme galerie regnoit bien tout à l’entour, comme les precedentes, & par des portes donnoit entrée aux plus hauts sieges de l’Amphitheatre : Mais elle n’estoit pas ouuerte en dehors, ny n’estoit pas si large que les deux autres ; & estoit couuerte d’vne voûte en demy tonne, qui portoit le reste des sieges. Pour monter de cette troisiesme galerie, sur le sommet de la muraille de closture de l’Amphiteatre, qui auoit six pans de large ; il y auoit vn petit degré droit dans l’espaisseur d’icelle, qui seruoit aux Officiers de l’Amphiteatre pour l’aller couurir ou des couurir aux occasions de la pluye, ou des grandes ardeurs du Soleil, lors que le peuple y estoit assemblé. Ces couuertures estoient des toiles de differentes estofes, qui estoient tendües par des poulies sur des poutres dressez dans des mortaises de pierre qui sont au plus haut de la muraille de closture. Trente rangées de sieges regnoient dans l’amphiteatre à l’entour d’iceluy, pour les [54] spectateurs, auec vne balustrade à chacun, & quatre-vingts & quatre portes pour y entrer. Tout ce bastiment est construit de gros quartiers de rocher, d’vne, de deux ou de trois canes de longueur chacun. La pierre en est à peu près aussi dure, & aussi belle que le marbre gris. Vn pilastre entre deux arcades basses, soustient en dehors de l’edifice, vne belle cornice auec la frize qui lui regne tout à l’entour. Et vne colonne d’ordre Thuscan entre deux arcades hautes, porte aussi vne autre cornice auec la frize, qui regne comme la precedente. Le tout constituë vne ouale parfaite, qui a soixante-sept canes de diametre long, cinquante-deux de large, & dix canes cinq pans de hauteur sur terre. Aux sieges pouuoient estre logées vingt mille personnes sur deux pans de siege chacune, sans qu’aucune peust empescher de voir toute l’arene, & tous les spectateurs : Et il restoit vne espace au milieu de l’Amphiteatre, pour les exercices qu’on y faisoit, de cinquante canes de diametre iustifié. Le temps qui ronge tout n’a pas pû nous priver de ce merueilleux edifice, qui semble plustost l’ouurage immediat de la main de Dieu, que de celle des hommes, & qui nous promet encore de porter la durée iusques à la fin des siecles : Mais il a bien [55] pù nous priuer de la connoissance precise du temps de la construction, & du nom de son Fondateur. Vigenere dans les Commentaires sur Tite-Liue, a crû que c’estoit l’ouurage d’Adrian, seulement parce que cet Empereur se picqua de signaler son Empire par des celebres bastimens. […] Nostre Amphiteatre n’a pas pû estre fait auparauant l’Empire de Tibere ; parce que iusques alors tous les Amphiteatres furent faits de bois : Et ne furent faits de pierre que par les ordres de cet Empereur, à cause de l’inconuenient qui suruint de son temps en la ville de Fidenes, en laquelle la ruine d’vn Amphiteatre de charpente, accabla plus de vingt mille personnes ; ny depuis l’Empire de Philippe qui fut le premier Empereur Chrestien ; parce qu’éuidemment l’vsage des Amphiteatres fust aboli par le Christianisme. Il faut donc que le nostre aye esté fait dans l’interuale de ces deux Empereurs, qui est enuiron de deux cens années. Dans cet entre deux de temps, enuiron cent quarante ans apres nostre salut, se trouue le [56] regne d’Antoninus Pius, qui pour estre fils d’Aurelius Fuluius, né dans Nismes, au rapport de Iulius Capitolinus, payen de creance, & bien affectionné à la patrie ; vray-semblablement la voulut honorer de ce magnifique edifice. Il ne fust point acheué, à cause de l’empeschement que luy porta la grace de l’Euangile. Et cette incomplection paroist en ce que toutes les pierres de cet auguste bastiment, ayant esté taillées en chaufrain, comme les maçons appellent, & basties de la sorte : Les dernières mouleures & l’embellissement de l’art ayans esté reseruez au ciseau & à la masse, sur des eschafauts : elles furent seulement commencées du costé du midy externe de l’amphiteatre, & non pas acheuées, comme voyent ceux qui se connoissent en cette matiere. D’où se conjecture euidemment, que ce grand ouurage ayant esté commencé apres l’an cent quarante de nostre salut, sous l’Empire d’Antoninus ; & mis hors d’vsage enuiron l’an deux cens cinquante, sous l’Empire de Philipe : il n’a pû seruir à l’abominable employ auquel il auoit esté destiné, que durant enuiron cent années. En vain le zele de nos premiers baptisez, mit le feu sous ces belles arcadres : Ces trop iustes incendiaires, auancerent aussi peu contre les grands quartiers de pierre de taille, dont elles [57] furent construites ; que la pluye, la glace & toute l’injure de l’air, contre les prodigieux rochers dont elles sont reuestuës. Leur main fit alors plus d’effet, que la voracité des Elemens n’auoit pas fait auparauant, ny la longueur de quinze siecles, n’a pû faire depuis : Car la sueur de nos peres, meslée dans l’arene auec le sang des Martyrs ; vid les plus hautes pierres de cet edifice, abatuës au pied de son fondement, & sa demolition commencée. En cet estat la lassitude de nos agreables destructeurs, laissa les restes de cet amphitheatre, lequel en son entier estoit l’vn des plus merueilleux efforts d’architecture que la vieille Rome ait jamais esleué : Et tel que toute la puissance du plus grand Monarque de la Chrestienté, en ce temps icy, n’en sçauroit bastir vn pareil en plusieurs années. […]
[74] Si ces sales representations des anciens Rois d’Egypte que nous venons de considerer, estoient faites pour signifier la pusillanimité des peuples, dans les contrées desquels elles estoient esleuées : Celles de la marque virile des hommes, qui se trouue exposée en deux endroits de nostre Amphiteatre, signifie infailliblement le courage masle de nos predecesseurs, habitans de Nismes, au iugement des mesmes Romains qui l’ont edifié ; parce que cet auguste bastiment estoit fait pour nos habitans de Nismes, & fixé dans l’enceinte de leurs murailles. Au lieu que les Images de natures de femmes, dont nous venons de parler, estoient ambulatoires & pour estre portées ailleurs. La honte qui nous reuiendroit du premier embleme, est repoussée par la signification mysterieuse du second. Tous sont triples & aislez à demy relief : Le premier, à la partie Orientale de nostre Am[75]phiteatre est l’image de celuy d’Osiris, bequeté par des becs aigus, & deuoré dans le fleuue du Nil par des animaux de ce nom, & depuis deïfié sous celuy de Priape. Les Egyptiens le representoient triple, selon Plutarque, au traité d’Isis & d’Osiris : parce que tout principe de generation se multiplie par soy-mesme. Voila pourquoy du Verdier en ses Images des Dieux, rapporte qu’Osiris estoit representé auec vn membre viril trois fois plus grand que le naturel ; & les pieces de sculpture que nous considerons icy, sont d’vn grand Priape aislé, de l’origine duquel en naissent deux petits. Il est vray que Plutarque dit en la neufuiesme Section du traité allegué, qu’apres l’assassinat d’Osiris, son membre viril fust ietté dans le Nil, & que le poisson appellé Oxyrinche le deuora : Mais pourtant il ne faut pas croire que ce fust vn poisson, ains plustost vn oiseau ; parce que le mesme Autheur aux Sections quatre & trente-sept du mesme traité, dit qu’Oxyrinche signifie bec-aigu, qui monstre certainement que c’estoit vn oiseau, & non pas vn poisson : Et que c’est vne faute de Plutarque, qui a mal rendu en Grec le nom Egyptien de cet animal ; Ayant esté porté facilement à cette erreur, de croire que ce fust vn poisson ; parce que la manducation dont il [76] parle a esté faite dans vn fleuue. Tant y a que puisque le nom de cet animal declare qu’il auoit vn bec, & que cela ne conuient point à vn poisson, mais à vn oiseau. Que l’embleme que nous expliquons est la representation d’vn Priape bequeté par de grands oiseaux, comme des Cannes, qui auroient les jambes hautes comme des Herons, & que ces oiseaux sont Amphibiques, plongeans dans les eaux, & volans dans les airs : Plutarque a pû le nommer poisson, presque auec autant de raison qu’oiseau. Et quand Plutarque auroit bien rendu l’Oxyrinche des Egyptiens par vn poisson du Nil, & qu’il n’auroit point equiuoqué d’vn oiseau à vn poisson de mesme nom : il est veritable qu’il a vsé à l’endroit de cet animal de la mesme figure de laquelle ont vsé les Romains en la representation de leur Louue. Car, parce que leur Fondateur & son frere auoient esté esleuez par vne putain, que l’exasperation de leur langue, nomme vne Louue. Les Sculpteurs de cette Ville n’ont pas fait difficulté de les representer par deux petits enfans, sous le tetin de la brute qui porte ce nom : Et par cette mesme licence de figurer la generation du nostre, par cette sale partie de son ayeul qui fut iettée dans le Nil ; & de la deïfication de laquelle nos deuanciers se glorifioient si [77] fort. Et puis qu’ils representoient la Larentia Romaine par le femele d’vn Loup : Ils pouuoient renouueller à nos Nemausiens, la mémoire de la generation de leur Fondateur, par l’image de la partie instrumentale de sa generation. Et pour faire la difference de ce membre deïfié, d’auec les prophanes ; Ils le representoient bequeté, parce que leur Dieu auoit esté bequeté par les becs-aigus du Nil. Le deuxiesme Priape est opposé à la situation du premier : Il est contre vn autre pilastre, à la partie Occidentale du mesme Amphiteatre, surmonté d’vne femme qui le tient arresté auec des resnes à la main. Si le premier peut estre appellé bequeté ; celuy cy peut estre nommé gouuerné : L’vn & l’autre sont aislez, pour monstrer l’actiuité de leur action. Le premier du costé du Soleil Leuant, pouuoit enseigner aux jeunes gens les maux & les repentis qui accompagnent tousiours les brutales inclinations du corps, selon l’Analogie des escoles : Et celuy du Couchant monstroit aux hommes faits, que la temperance ou la raison doiuent tenir en bride les passions animales. Ce qui est tousiours vn Illustre monument de la vertu de nos peres, suiuant le tesmoignage des anciens Romains, qui ont esté de leur temps les plus sages hommes de la terre. […]
[102] Si Agripa estoit le constructeur du pont du Gard, comme dit Monsieur Guiran, il le seroit aussi de l’Amphiteatre ; puis que le pont du Gard n’est qu’vn accessoire & vne dependence de ce grand bastiment, & qu’il n’est pas fait principalement, que pour y porter les eaux de la fontaine d’Vzez. D’où s’ensuit que l’Amphiteatre est plus ancien que l’acqueduc & le pont qui le porte. Or il est certain que l’Amphiteatre n’a pas esté construit que despuis que Nismes a esté fait colonie Romaine, & le siege d’vn proconsul ; qui ne fut que l’an sept cens vingt-cinq de la fondation de Rome. Car la bataille Actiatique fut donnée l’an sept cens vingt-trois de la mesme fondation. Le Royaume d’Egipte reduit en Province l’an sept cens vingt-quatre, & l’enuoy de nostre colonie l’année d’apres. Et que Marcus Agripa qui en fut le conducteur, mourut l’an sept cens quarante trois : Et ainsi il ne suruesquit cette conduite, que dix-sept ans. Pendant lesquels il fut Consul vne année à Rome [103] auec Auguste ; six ans Tribun en deux fois : Gouuerneur d’Italie vn an ; fit deux campagnes en Pannonie, vn autre en Asie ; & ne fut proconsul en Gaule qu’vne année, qu’il employa a repousser les Allemans qui auoient passé le Rhin. Estant impossible que dans le peu de temps vtile qui luy resta, apres ces emplois ; il peut faire construire l’Amphiteatre, le pont du Gard & l’aqueduc de Nismes, qui sont des ouurages grands & énormes, qui surmontent la puissance de tous les plus grands Potentars de l’Europe. Que s’il m’est permis de presumer sur cette matiere, à l’exemple de Monsieur de Guiran : Sauf le respect de Messieurs de l’Hospital & de Bese : Il est vray semblable que ce fut l’ouurage d’Antoninus Pius, parce qu’il regna plus de vingt-trois ans, & qu’il estoit originaire de Nismes. Cette vray semblance se fortifie par la consideration du constructeur qui estoit vn Empereur qui affectionoit le lieu de son origine ; remarqué par l’Histoire, pour estre vn grand amateur du theatre, & de ses exercices, qui pouuoit employer en cette construction, tous les grands & immenses tresors de l’Empire Romain. Au lieu que Agripa ne fut qu’vn proconsul des Gaules durant vne année, qui n’y pouuoit mettre que les tributs de ses Prouinces, apres en auoir distraict les fraix [104] de la guerre qu’il mena contre les Allemans ».