GALLIA ROMANA

Corpus des textes et représentations
des antiquités gallo-romaines (XVe siècle - XVIIe siècle)

Notice

Ville Nîmes (Gard, 30)
Sujet(s) Amphithéâtre
 
Auteur(s) Rulman, Anne de
  Avocat protestant au présidial de Nîmes (1583-1639)
Support Imprimé
Date 1630
Inscription
Références Rulman 1630, p. 8-13, 17-22, 31
Bibliographie

Fiches/Veyrac 1996, p. 336-350 ; Gros 1996, p. 335-336 ; Lemerle 2005, p. 85-86 ; Lemerle 2013-2

Remarques
Transcription 

« En suitte ie vous fis la veuë monstrée de deux doubles arcades en l’enrichissement de leur ordre, qui forment ceste ouale en leur (sic) poinctes, & le rendent regulier. Car ses extremités sont esgales, combien que le vulgaire, qui n’a du iugement que dans les yeux, s’imagine que sa forme est semblable à celle de l’œuf, & qu’il est plus poinctu du Leuant, & plus large du Couchant. Ces deux Arcades, seruoient de deux portaux pour les deux entrées generales, du costé du Leuant, & celuy du Couchant, qui amenoient là le Peuple de la circumference, iusqu’au centre. Celle du Leuant, où estoit l’escuerie de M. le Duc de Rohan, est celle qui paroist la plus entiere. Car son opposite est occupée par de (sic) bastiments modernes ; de mesme que les autres deux qui sont diametralement en veuë l’vne de l’autre, aux faces du Midy, & du Septentrion. Et c’est au dessus de cette-cy que paroit ce grand portail, qui presente les deux demy-corps des Taureaux, au dessus de sa Corniche, & remplit de haut en bas la faciade du bastiment.
Entre lesquelles paroissent auec tant d’eminence, les autres cinquante six Arcades, qui sont auec ces quatre, le nombre des soixante qui roulent au tour. Huict desquelles seruoient de deux à deux, de corps de garde, qui estoient posés à droicte & à gauche, à chacune des quatre entrées generales, pour le logement des Archers qui estoient commis pour empescher les desordres, ineuitables dans la foulle, aux iours des solemnitez publiques. Et les quarante & huict restantes fournissoient alternatiuement vingt-quatre passages, pour aller à plan pied de la premiere galerie basse, iusqu’à la seconde ; par des voutes en descente de caue, qui estoient assorties de plusieurs differents arcs-doubleaux. Ou autant de montées, par de (sic) degrés appuyés sur de (sic) voûtes quarrées, qui conduisoient le monde en visant vers le centre, de la premiere galerie [9] basse, iusqu’à la premiere galerie haute. D’où par d’autres semblables degrés, on se rendoit à la seconde galerie haute, en iettant les yeux vers la circumference, & tournant le dos au centre.[…] [j’auois fait explication] des cinq Emblemes qui enrichissent les faces de l’Ædifice. Celuy de la Louue allaictant Remus, & Romulus. […] Ce que l’Empereur Adrian a faict tailler en demy relief, pour publier dans toutes les Prouinces assubiecties à son authorité, qu’à son tour il estoit paruenu à l’Empire, par les adresses de Pompée Plotine, contre l’intention de Trajan son mary. Que deux grands Monarques, dans vne mesme Prouince, auoient eu en diuers siecles, deux grandes obligations à deux femmes. Et que l’Amphitheatre qu’il auoit faict construire en l’honneur des funerailles de Plotine, rendroit sa recognoissance immortelle. De mesme que celle de Romulus, en faisant releuer en bosse dans les Temples, la statuë [10] de la Louue, en l’honneur de la memoire de Laurentia.
Des trois Priapes aislés, trainés par des iambes de cerf, deux desquels sont becquetés par trois oyseaux. Il faut ioindre les autres trois qui sont vers le Couchant, l’vnique, & les deux conjoincts par les testicules, qui paroissent dans la seconde galerie haute, pour en recueillir l’intelligence, & en former l’explication. Ils seruiront ailleurs de riche matiere pour deux ou trois narrations ; Et icy de subiet pour en assortir deux ou trois Periodes, auec discretion. Le Priape seul, represente le seul & premier principe de toutes choses, qui est l’eau, laquelle estant desseichée se conuertit en terre, sa vapeur se transforme en air, & cette vapeur rafinée s’alume, & se faict du feu. Et l’eau est representée par le Priape, à cause de la semence ; Et d’effect celuy du Pont du Gard, verse vn rayon d’eau. Le double, nous exhibe les deux Principes desia vnis, qui sont la terre, & les eaux, selon Moyse. La matiere, & la forme, selon Aristote. Et le Mercure, & la sel, selon les Hermetiques. Et de ces deux, l’vn est plus gros que l’autre ; par ce qu’il y a tousiours plus de matiere que de forme ; & que le corps du Mercure, est la baze, & le fondement de toute la composition. Les trois Priapes assemblez, sont les trois Principes ioincts ensemble, & composants toutes les choses de l’vniuers. L’aislé est le Mercure, representant par ses doubles aisles, & ses iambes de cerf, son actiueté ? La femme qui s’appuye du genoüil, c’est la Nature qui le retient auec son lien, pour trauailler sans contradiction à la generation des choses. L’autre qu’elle tient attaché represente le Souphre, afin de le fixer & le ioindre inseparablement. Le troisieme qui est au dessous du gros, est la sel ou la cendre. Et la clochette qui pend en bas, publie l’harmonie melodieuse des choses Superieures auec les inferieures, lesquelles par vn accord discordant sont ioinctes ensemble, & font cet ordre merueilleux, que nous voyons dans le monde.
Des deux gladiateurs prests d’entrer dans l’Arene, ou d’en venir aux mains, pour diuertir le Peuple par des combats non sanglants ; ou pour diminuer le tourment des morts, par la perte du sang des viuants. Car ils croyoient que leur Manes estoient allegés dans le Tartare, par l’effusion du sang, l’estropiement des bras ou de iambes, ou la perte de la vie des combatants.
[11] Des deux demi corps des Taureaux, pour la commemoration des ieux Tauriles, appellés autrement la course des cheuaux desultoires ; Lesquels estoient celebrés dans le champs de Mars, en l’honneur des funerailles & pour le repos imaginaire des trespassés.
Et des autres trois Priapes aislés, trainés par des iambes de cerf ; le plus gros desquels porte vne clochette pendante en bas ; Et vne Matrone en haut, qui s’apuye le genou sur luy, tourne la teste en arriere, & en tient deux autres garrotés auec des liens qui demeurent suspendus dans la paume de ses mains. […]
Cela m’engagea insensiblement par votre ordre, (Monseigneur)[Cardinal de Bagni] d’entrer dans l’Amphitheatre, de descendre en l’Arene, & de vous conduire dans les obscurités des antres infernaux de la seconde galerie basse. [12] Laquelle est autant incognue aux habitants ; Comme la premiere haute est inuisible aux estrangers. Par ce qu’elles sont comblées d’anciennes ruines, & entrecoupées de maisons modernes.
Ie vous fis cognoistre sur son terrain, la differente fabrique de ses voutes, d’auec celles de la premiere galerie basse. Et fis l’indiquation des vingt & quatre portes des prisons des esclaues qui estoient parsemées dans son enceinte. Dont les voutes en descente de caue, alloient mourir en talussant vers la circumference du bastiment, & finir au pied de la prochaine Maistresse muraille de la premiere galerie basse. Sur les voutes de laquelle reposoient les degrés des premieres montées, en pareil nombre de vingt & quatre ; Par ce qu’il y auoit six passages, six montées, & six prisons en chascun quartier.
Et à l’opposite autant de Cachots de bestes qui aboutissent vers le Centre, en talussant, & seruent de support aux premiers sieges qui enuironnent l’Arene. On les enfermoit par le dedans du Sable, l’extremité duquel estoit enuironnée d’vn assez large fossé, pour empescher par le front d’vne assez haute barriere qui le precedoit, qu’elles ne peussent eschappper en leur fougues (sic), ni s’eslancer dehors auec leur fureur.
Or entre les Cachots des animaux, qui estoient opposés en droite ligne aux prisons des esclaues ; Il y auoit vingt & quatre boutiques qui correspondoient au Diametre de la premiere galerie basse, & remplissoient le vuide des passages, qui finissoient à la seconde. Elles seruoient à l’vsage des exercices, & des combats qui se faisoient sur l’arene, ou des personnes qui estoient gagées pour les appareiller, & fournir les choses necessaires pour la commodité, & la bienseance des assistants. […]
[13] Les Massifs qui estoient ioignants les boutiques, supportoient les premiers sieges de l’enceinte. Le plus bas, qui estoit le plus honorable, s’appeloit Orchestra vel Podium. Il estoit plus large que les autres, & enuironné de balustres qui soustenoient la corniche, seruant d’accoudoir pour les Cæsars, leur (sic) Lieutenants generaux, leurs fauoris, leur (sic) Officiers, les Senateurs, les Cheualiers, & les Vestales ; auxquelles il estoit permis d’assister aux jeux & aux Spectacles. […]
[17] Celuy du dehors consiste, en ce que ses arcades sont sous-baissés d’enuiron deux pieds. Et quelles penchent plus bas que les autres du second ordre extérieur, qui supporte la plus haute corniche de l’ædifice. Et il est vray que si elles eussent peu se rencontrer d’vne mesme ouuerture, & à fleur les vnes des autres elles eussent eu plus de iour, & d’esleuation. Mais ce soubassement se trouua necessaire pour soustenir la voute de la troisieme galerie haute, qui supporte [mot illisible à cause du tampon de la bibliothèque] des sieges, laquelle eust esté autrement trop basse, & declinante sur la teste des passants.
[18] Celuy du dedans de ce que les pieds-droicts, & les embraseures des arcades, qui soustiennent les soixante voutes de ceste galerie, sont assorties en bas de six vingts pieces de platebande, chascune desquelles a tout d’vn traict seze pieds de longueur. Dont le front massif desrobe la moitié de leur ouuerture, ayants presque vne toise de pente, & de profondeur. Ce qui ne se pouuoit mieux faire, afin de les soubsmettre à porter les degrés, qui menent de ceste seconde galerie haute iusqu’a la troisieme, lesquels sont renfondrés dans les massifs de ces arcades. Et si sont ils encore fort rudes, par ce qu’ils sont presque droicts, à cause de leur hauteur, & estresseur.
Sans bouger delà, ie vous d’esennuiay par de nouueaux obiects, qui sont beaucoup plus satisfaisants les esprits solides, que scandalisants les honteux, par la faible preocupation, & l’imprudente precipitation de leur preiugés. En vous faisant l’indication du Priape seul, qui paroist sur la clef d’vne arcade, au dedans de ce portique vers le Midi. Et des deux qui sont conioincts par les testicules, & paroissent au milieu de la platebande d’vne arcade, qui enuisage les sieges, entre le Septentrion, & le Leuant. […]
Ie n’oubliay pas de releuer quelques manquements qui se trouuent en la construction de ce portique, lesquels cest expert Architecte auoit tasché de r’habiller. En soustenant par plusieurs dissemblables pied [19] droicts, les extremités de neuf ou dix pieces de platebande, qui s’estoient dementies par leur propre contrepoids, à cause de leur immense longueur. Mais la reuolution de tant de siecles, les a du depuis toutes fendues, excepté trois, qui sont restées en leur entier. Ce qui n’arriua par lors du tremblement de terre, qu’on souffrit en Iudée & ailleurs, à la mort douloureuse de nostre Seigneur & Sauueur Iesus Christ : Par ce que l’Amphitheatre ne fust basti qu’enuiron cent ans apres.
Finalement, vous vites M. la plus part des ronds des voutes trauersantes ces grandes arcades, esclatés en pieces, & noircis de flammes, depuis le tourbillon fumant, des torches ardantes, des Anges destructeurs, de cest impitoyable Charles Martel, & de ce genereux Prince des François. […] [20] Vous eustes bien agreable M. de voir de suitte les entrées de la premiere galerie haute, dans les premiers sieges, qui estoient les plus aisés. Elles estoient ordonnées de six en six, en chascun des quatre quartiers de l’Ouale et il en auoit encor trois hors de leur rang, qui estoient reseruées pour les iours solemnels de la Pompe, ou des funérailles, des Cæsars, des grands Pontifes, des descendants de leur families, & des plus notables Magistrats de l’Empire.
Celles là en mesme nombre, qui menoient de front de la seconde galerie haute, par la montée de six degrés, dans les sieges du milieu. Lesquels estoient priuilegiés, & retenus iusqu’au quatorzieme : & les autres indifferemment communs au premier qui les occupoit. Et tout autant de celles qui conduisoient à planpied de la troisieme galerie haute, dans les hauts sieges. Sur le vingt & neuuieme & le dernier desquels, les enfants, & les femmes craintiues, estoient logées, pour estre esloignées du hurt de la foulle, de l’effray des combattants, & de la fureur des animaux. Car ils s’entredeschiroient les vns les autres, & versoient à gros bouillons leur sang auec leur vies, sur les grains de l’Arene, laquelle le sucçoit à l’instant. Et si yauoit il des personnes gagées pour en aller ballier les traces, afin qu’vne goutte rougissante, & effarouchante, ny parut point.
On alloit à ces dernieres entrées, par les degrés à droicte & à gauche, [21] qui sont desrobés dans l’espaisseur du Massif des piedsdroicts des arcades, desquels ie viens de faire la description. Ils sont esclairés par les fentes des flancs qui s’euasent par le dedans, aboutissent de front à la cime de chasque montée, enuironnent l’Ouale, & paroissent en dehors à costé des pilastres, ce nombre de quarante & huict. Car il y en a douze en chascun quartier, par ce qu’il y en a vn à chasque montée. Et elle se trouue double, à droicte & à gauche, à chasque porte, seruant d’entrée aux sieges du milieu.
ESTANT PARVENVS AV dessus de la corniche superieure, qui corone les Maistresses murailles de nostre Ouale, & sert de promenoir aux estrangers. Ie vous montray à l’œil sa regularité, son Diamètre, son centre, la naissance des sieges, leur nombre, leur circumference, & la supputation que i’auoy faicte d’enuiron dix & huict mille personnes, qui pouuoient estre aisement recueillies dans son enceinte.
Ie marquay les endroicts où estoient logées les statues de Dieux, & des Cæsars, aux iours les plus signalés, des festes, des ieux, & des spectacles. La situation des tuyaux de bronze, qui respandoient l’eau naphe en façon de rosée, sur les assistants, Pallida, quam rubri diluit unda croci, selon Martial. Les routes des canaux qui portoient les eaux pluuiales dans leur cloaques. Et celles de l’Aqueduct de la source de nostre fontaine qui remplissoit d’eau le vuide du sable après qu’on l’auoit enfermé dans les boutiques, ou espars sur le sol des passages des portiques. Alors on retiroit les gondoles de leur entrepos, on les rouloit dans l’eau, & on y celebroit des combats nauaux, lesquels ils appeloient de Naumachies. Et peu apres, l’eau s’estant escoulée par les diuers conduicts des aqueducts sousterrains, dans le vieux fossé de la ville, qui estoit proche, on tiroit des boutiques, les arbres, les branches, & les rameaux necessaires pour dresser vne forest d’haute fustaye, & prendre le plaisir de la chasse, tout à la fois.
Ie monstraye les Consoles qui paroissent en dehors de bonne grace en nombre de six vingts. Car il y en à deux à chasque arcade, qui ont deux pieds & tiers de saillie chascune, & vn pied de iour, en rondeur. On y faisoit couler dedans les gros pilliers de bois, lesquels s’affermissoient [22] quatre pieds plus bas, sur vn autre trou de la mesme ouuerture, entaillé sur le dos de la corniche du second ordre des arcades du bastiment. Ces pilliers tenoient attachés les cordages auec les poulies de fer, qui soustenoient le fardeau des tentes, lesquelles garantissoient les assistants du vent, de la rosée, & du Soleil.
Ils estoient contretenus par le dedans, par les autres pieds-droicts quarrés s’entrenuisageants, lesquels estoient entaillés vn tiers de pied dans la mortaise de la corniche superieure, & s’enfonçoient vn pied & tiers, sur le dos du dernier & trentieme degré, qui faisoit le vingt-neuuieme siege. Ces pieds droicts supportoient le gardefou, qui rouloit à l’entour en façon de barriere : & seruoit d’accoudoir à ceux qui auoient le soin des poutres, des poulies, des cordages, des tentes, des agraffes, & des autres affusts en dependants.
Ces gens là montoient & descendoient secrettement par vn petit degré, qui est caché dans l’epaisseur de la Maistresse muraille de la porte triumphale des demi corps de Taureaux, par l’estresseur desquels il vous pleust descendre, en rampant d’vn costé & d’autre, sur le terrain de la seconde galerie haute, à laquelle ils aboutissent à plain pied. […] [31] De quel ordre est basti cest Amphitheatre : Du Toscan, vous respondis-ie. Qui en est l’authp. Eur ? Ælie Adrian. Environ quel temps l’a il faict bastir ? Un siecle presque reuolu apres la restauration du monde. En l’honneur de qui ? De Pompée Plotine, la delaissée de Traian son predecesseur. A quelles fins ? Pour la celebration des funerailles d’une grande Princesse. »