GALLIA ROMANA

Corpus des textes et représentations
des antiquités gallo-romaines (XVe siècle - XVIIe siècle)

Notice

Ville Vers-Pont-du-Gard (Gard, 30)
Sujet(s) Pont du Gard
 
Auteur(s) Bergier, Nicolas
  Avocat et historien, historiographe de France (1567-1623)
Support Imprimé
Date 1622
Inscription
Références Bergier 1622, IV, p. 695-697
Bibliographie

DLF XVIIe siècle, p. 137 ; Provost 1999-2, p. 736 ; Lemerle 2005, p. 88-91

Remarques

Le pont du Gard fut sans doute le monument gallo-romain le plus universellement admiré

Transcription 

« Si est-ce toutesfois qu’il nous en reste vn [aqueduc] dict vulgairement le Pont du Gar, que ie penserois estre de sa façon [de la façon d’Agrippa]. Il est assis entre Auignon & Nismes, sur vne petite riuiere nommee le Guardon, qui de la part du Languedoc se vient perdre dedans le Rhosne. C’est à trois petites lieuës de ladite ville de Nismes, ainsi que i’ay appris [696] l’auteur de ses antiquitez. Isaacius Pontanus, qui l’a veu & consideré l’appelle, opus longè elaboratissimum : et cui ambigas an vllum aliud, non dico Gallia, sed Italia ipsa par habeat : c’est à dire, que cet œuure extremement bien travaillé : & tel qu’il est sans doute, si non seulement la Gaule, mais l’Italie mesme, a rien de semblable en magnificence de structure. A quoy se rapporte ce que Paulus Heutzuerus, IurisconsulteAllemand en a laissé par escrit en son Itinéraire, où parlant d’vn village nommé Rimon, assez pres d’Auignon, il dict : vno milliari abhinc, aspectu et considerationis dignus est Pons Gardius : vulgo, le pont du Gard, à fluuio Gardon nomen habens, antiqui et stupendi operis, triplici serie mira industria fornicatus.
En quoy il est conforme à l’auteur des antiquitez de Nismes, qui le dict estre de trois estages : comme ils conuiennent pareillement au nombre de piles & arcades, dont chacun estage est composé : le plus bas desquels, est de 438. pieds de longueur, distribuées en six arches chacune de 58. pieds d’ouuerture, portees sur deux culees & cinq piles, dont chacune a dix huict pieds d’espesseur, & quatre-vingt trois pieds de haulteur. Ce premier estage fut de long temps apres entamé & ouuert en ses pilastres, pour donner paasage aux hommes de pied, cheuaux & mulets qui vont à charge, abbregeants leur chemin de deux lieuës ou enuiron. Ce qui a esté cause d’auoir donné le nom de Pont à l’œuure entier, quoy quà le prendre selon la nature de l’ouurage, & du dessein de son auteur, ce soit vn Aqueduc, & non pas vn Pont. Et par effet, quoy que cet œuure soit d’vne masse terrible en son architecture, le charroy iusques à present n’y peut auoir aucun passage.
Le second estage pour preuue de cela, ne sert que d’appuy & d’esleuation pour le troisiesme. Il est de sept cens quarante six pieds de longueur, & de vingt vn pieds de largeur, & contient onze arcades, qui ont chacune cinquante six pieds de iour, soixante pieds de hault, sur pilastre de treize pieds de corps. Entre ces deux estages coule vne bande tout le long du Pont, de sept pieds unze poulces de haulteur, qui les separe l’vn de l’autre auec grace & bien seance. Le troisiesme estage n’est autre chose qu’vn Aqueduc, endommagé en plusieurs endroicts : pour l’appuy & soustenement duquel, les deux inferieurs ont esté faicts, & non pas pour seruir de Pont ou de passage : Il a cinq cens quatre pieds & demy de longueur, partagez en trente cinq arceaux, chacun de dix sept pieds dans œuure, portez sur piles de cinq pieds & demy d’espaisseur. Quant à sa haulteur, elle n’est que de six pieds : & c’est dans icelle qu’est pratiqué le canal seruant à la conduitte & coulement des eaux, qui a trois pieds de creux en son quarré. L’espace [697] ou interualle, qui diuise ces deux derniers estages l’vn de l’autre est de huict pieds six poulces. En sorte que la haulteur de l’œuure entier, est de cent soixante & unze pieds cinq poulces.
Au reste, il se rencontre deux choses dignes de remarque en ce Pont : l’vne, c’est que les pierres taillees & esquarries, dont il est faict, quoy que pesantes & grandes à merueilles, ne laissent pas de tenir ensemble d’vn assemblage & liaison tres-ferme, quoique elles ne soient ioinctes auec chaux ne cement quelconque. Ce que nous sçauons par le recit, que le dit Paulus Heutzuerus (sic) en faict en ces termes : Atque in hoc opere, vero Romanæ magnificentiæ simulacro, mirum, quod lapides quadrati molis immensæ, nulla calce compacti, tamen cohæreant. L’autre, qui est encore plus admirable, c’est que l’ouurage estant de si grande & magnifique entreprise, on en trouue en iceluy aucune Inscripyion, ny dans l’histoire aucun tesmoignage exprés de son Auteur : sinon qu’il est assez apparent, que cet ouurage ne procede d’ailleurs que de la puissance Romaine. Ce que Isaacius Pontanus admire grandement, & en parle en cette manière : Et quod maximè, cum in æui sui, Romanæ potentiæ veluti miraculum exædificatum crediderim, nullam eius nec autoris quidem, in priscis memoriis, extare vel mentionem, vel testimonium. »