GALLIA ROMANA

Corpus des textes et représentations
des antiquités gallo-romaines (XVe siècle - XVIIe siècle)

Notice

Ville Orange (Vaucluse, 84)
Sujet(s) Arc de triomphe
 
Auteur(s) La Pise, Joseph
  Greffier au Parlement d’Orange (1580-1646)
Support Imprimé
Date 1639
Inscription
Références La Pise 1639, p. 19, 22-28
Bibliographie

Lemerle 2003, p. 17-20 ; Lemerle 2005, p. 93-94 ; Roumégoux 2009, p. 181-183

Remarques
Transcription 

« TOus ceux qui considerent attentivement les particulieres remarques, qui sont relevées, sur ce grand Arc Triomphal, enclos dans l’enceinte des vielles murailles, & distant d’environ cinq cents pas de la nouvelle ville d’Orange, jugent bien que ce rare edifice fut solemnellement erigé à l’honneur de la memoire de ce grand Capitaine Romain, & troisiesme fondateur de sa patrie Cajus Marius ; pour representer le triomphe des trois batailles memorables, qu’il avoit gaignées sur les Ambrons, Theutons, & Cimbres; par lesquelles il destourna miraculeusement ce grand orage, ceste dangereuse tourmente, ceste tempeste de guerre, qui s’aloit espendre par toute l’ltalie.
[22] C’est ce grand Arc Triomphal, duquel il faut parler que le peuple Romain fit edifier à l’honneur de ces deux grands Capitaines & Consuls Romains, Cajus Marius, & Catulus Luctatius ; pour la representation de ces trois memorables victoires, en trois sanglantes batailles, sur trois grandes & puissantes armées, des Ambrons, des Theutons, & des Cimbres.
Il fut erigé à Orange, comme en une Cité Metropolitaine & des plus grandes, & plus renommées de toute la Gaule Narbonnoise ; jaçoit que les batailles n’y ayent point esté gaignées, mais assés loing de la ; les deux premieres à Aix, distant de quinze lieües d’Orange, & la troisiesme à la plaine de Verselles en Italie : sans qu’il se faille arrester à l’opinion de quelques uns, qui voudroyent dire que ce Triomphe à esté erigé à Orange, pour quelque autre victoire, que Marius y pourroit avoir obtenu, ou bien pour y avoir defait une partie de ces Barbares.
[23] Il est vulgairement appellé la Tour de l’Arc, distant environ cinq cents pas de la ville, & toutesfois joignant les vielles murailles comme il à esté generalement touché cy dessus.
A la voir de vingt pas, il semble qu’elle ayt esté assize sur une petite mote de terre ; mais en la considerant de prés, on juge facilement que ceste terre y à esté portée depuis son erection. Ce qui est d’autant plus croyable, que les Princes y avoyent autrefois une belle maison, & depuis un fort ; comme il se verra au progrés de l’histoire, & comme il est aise de cognoistre par l’inspection des masures. La forme qu’elle a à present est un peu differente de l’ancienne, estant aisé de distinguer le vieux bastiment du nouveau. Il se remarque qu’elle à esté revestue par le bas des costés d’Orient, d’Occident & du Septemtrion, d’une muraille de pierre de taille qui paroit huit pieds sur terre faite en forme de talus. Du costé du midy y à une autre muraille qui a d’hauteur environ vingt quatre pieds François, & trente de longueur ; qui couure en face deux arcs de la tour, asçavoir celuy du milieu, & celuy du couchant : & est separée de la tour d’haut en bas d’environ cinq pieds sauf du couchant, ou elle s’y joint. Les flancs qui sont en ceste muraille, & son bastiment denotent, qu’elle à esté faite pour la forteresse ; comme aussi tout ce qui paroit depuis peu plus du milieu de la tour jusques a la cime ; fait cognoistre qu’il à esté basti longtemps apres l’ancien edifice, ou pour la conservation des antiquités, ou pour la fortification du lieu. Ce qui apert clairement, tant par la diversité des flancs, pour y bracquer des canons, mousquets, & autres armes à feu, qui n’estoyent en usage du temps des Romains ; que par la matiere du bastiment.
Il faut voir ceste magnifique tour despovillée, de tout ce qu’on y pourroit avoir adjousté de nouveau ; qui n’est rien au regard des rares antiquités qui y paroissent. La hauteur qu’elle a maintenant a un rapport vray-semblable à celle qu’elle avoit anciennement, selon qu’on peut juger par la proportion de l’edifice, elle est de quinze canes que font nonante pieds François.
Ceste Tour est soustenue sur trois Arcs, (qui s’appuyent sur quatre murailles, basties de gros quartiers de pierre de taile (sic<:i>),) ouvers du midy au septemtrion. a Celuy du milieu est le plus grand, & le plus haut ; & les autres deux des extremités sont esgalement plus petits. Il faut considerer les quatre faces à part & puis voir ce qu’il y a au dedans de remarquable. Face Orientale.
Sur la face Orientale & au bas d’icelle ; joignant la muraille faite en talus & entre les colomnes : b on y voit des personnages relevés, qui ont la forme des captifs & prisonniers, qu’on avoit de coustume de mener en triomphe, ayans les mains atachées derriere le dos. Ces prisonniers sont posés deux à deux, entre les distances esgales des quatre colomnes. Au dessus de chasque couple de ces prisonniers, au milieu d’iceux, entre les distances des colomnes : paroissent des grands trophées d’armes gaignées sur les captifs. Là voit on plusieurs sortes d’armes à l’ancienne, escuz, espées, long-bois, picques, javelots, armes à cru. c Au haut des trophées d’armes, & sur ceux des deux extremités se voyent en chacune la figure d’un pourceau, qui est la marque des aliances & des confederations qui se faisoyent en ce temps là, parmy les Nations.
Au dessus encor de ces pourceaux comme aussi au haut des trophées du milieu ; se voyent les figures de l’Oriflamme des Romains qu’ils appelloyent Labarum, ou comete du Prince ; laquelle on portoit ordinairement aux expeditions militaires, lors que l’Empereur ou le general d’armée marchoit en [24] bataille. [...] Au dessus de ces colomnes &. chapiteaux ; paroit une Frise dans laquelle sont representés des Gladiateurs & Escrimeurs à outrance ; combatans un à un, en diverses postures les uns en forme de vaincueurs, les autres de vaincus ; les autres qui rendent encor du combat, les autres qui sont du tout renversés & abatus. C’est sans doubte la figure des captifs de ces grandes victoires, que les Romains avoyent accoustumé de faire combatre les uns contre les autres, pour donner du plaisir & du passe temps au peuple.
Au dessus de ces Escrimeurs à ontrance (sic), vis â vis des colomnes du milieu ; paroit une face environnée de rayons, & de plusieurs estoiles, comme de quelque Dieu des payens ; resemblant proprement à la medaille ou antique, descripte par Guillaume du Choul en son livre de la religion des anciens payens. C’est sans doubte le simulachre du Soleil tant honnoré des Romains : ou il à esté là relevé, pour representer leurs triomphantes victoires, qui sont montées jusques au ciel & ont resplendi par tout le monde.
Aux costés de ceste face ; s’y voyent deux Cornes d’Abondance ; & au dessus un Tympan ; les extremités duquel soustienent deux Sirenes, posées sur les carres de Phœbus, servans avec ce qui est au dessus d’enrichissement à la face Orientale de ceste Tour.
[25] Face Occidentale.
LA face Occidentale represente des semblables captifs avec des trophées entre deux colomnes, de mesme etofe que celles de la face Orientale. Sur le coin du costé gauche de ceste face y defaut la figure d’un des captifs. Sur quoy est remarquable, qu’il y à environ quarante ans qu’une grosse pierre qui estoit audit coin tomba, sur laquelle estoit escrit Theutobocchus ; au rapport de plusieurs dignes de foy qui m’ont attesté l’avoir veüe & leüe. C’estoit donc la figure du Roy des Theutons, lequel ayant esté fait prisonnier de Marius, en une de ces grandes batailles, fut mené en triomphe dans Rome avec les autres prisonniers, comme il à esté remarqué cy dessus.
[26] Face Meridionale
La face Meridionale, contient plusieurs singularités remarquables : car outre les enrichissemens, qui y paroissent en ses colomnes, chapiteaux, frises, corniches, architraves, pour l’ornement des arcs & de toute la façade ; on y voit au dessus du petit arc, proche d’Orient plusieurs armes de toutes espece (sic), entassées les unes sur les autres, escus, espées, longbois, javelots en faisseaux & autrement, beliers, arméts (sic), & parmy iceux la figure de deux pourceaux ou sangliers. Sur aucuns de ces escus se lisent des mots gravés, mesme sur un d’iceux est escrit Mario & sur d’autres Dacudo, & quelques autres noms non lisables. Sur l’autre petit arc sont aussi representés quelques escus & armes, ensemble la figure d’un pourceau.
Au dessus de ces armes, dans la frise, qui traverse la façade, & vis à vis du petit arc, se voyent encor d’autres gladiateurs, & escrimeurs à outrance, semblables à ceux de la face Orientale.
Sur le milieu de ceste face, & au dessus du grand arc, se voit le Timpan qui sert à l’embelissement de l’ouvrage ; & sur sa naissance, de chasque costé, mais sur tout de celuy qui avoisine l’Orient, paroiffent des pieces de navires rompues, des mats separés, cordages, ancres, & autres instrumens de Marine ; & sur tout la figure du Trident de Neptune, vray simbole de ceste grandeur Romaine, qui s’est estendue, aussi bien sur les mers, que sur les terres.
Plus haut encor, & vis à vis de se petit arc qui approche l’Orient ; est relevée sur pierre, la teste d’une femme montrant les bras & espaules, comme paroissante hors d’une fenestre ; ayant la teste appuyée sur son bras & main droite, & tenant le doigt à l’oreille. C’est l’effigie de Marthe Siriene Pithonesse, qui conduisoit Marius en ses sacrifices, & luy prophetisoit les choses à venir. Quelques historiens ont dit, que tandis qu’elle tenoit le doigt à l’oreille, Marius obtenoit infalliblement la victoire sur ses ennemis, & les batailles luy succedoyent favorablement.
A costé d’icelle, & dans une fenestre joignant ; se voit un homme relevé à cheval armé de toutes pieces à l’ancienne, qu’on tient communement estre l’effigie de Marius.
Ensuite de ceste fenestre, & vis à vis & au dessus du grand arc ; se voit la meslée furieuse d’une bataille, relevée sur grosses pierres blanches, bien jointes, & unies, richement & artistement eslabourées. Là paroissent naïsuement des hommes combatans à pied & â (sic) cheval ; les uns vainqueurs, les autres vaincus, & rendans encor du combat ; autres qui sont morts, qui ont les membres coupés : on y voit des hommes renversés sous les chevaux, & des chevaux courans comme eschapés de la bataille ; C’est la representation d’une de ces memorables batailles, gaignées sur les Barbares par ce grand Capitaine.
[27] Face Septemtrionale.
La face Septemtrionale est la plus riche, & la plus entiere: Semblables embelissemens s’y voyent qu’à celle du midy.
Sur les deux petits arcs y sont relevés ; pesle-mesle à grand tas toute sorte d’armes à l’antique, avec la representation des pourceaux figure des alliances que les Romains contractoyent comme à esté rapporté cy dessus.
Et au dessus de chasque costé, apres les Corniches, Frises, & Architraves ; sont representés toute sorte d’instrumens de marxine, mesmes des navires brisées, mats, cordages, ancres & autres choses propres à la navigation. Le Trident de Neptune y est aussi relevé en trois endroits.
Plus haut encor & vis à vis du petit arc qui approche l’Orient ; sont representées au naturel, les figures des enseignes de la religion des anciens Romains. L’aspergille, qu’on tenoit dans les benetiers qui estoyent poses à l’entrée des temples, servans à jeter l’eau Lustrale sur les prestres, ou sur le peuple, lors qu’il y entroit pour le sacrifice. Le Perfericule, qui estoit un vase servant à tenir le vin, pour le verser sur la teste de la victime, ressemblant à une eiguiere commune. Le Disque, qui estoit un grand plat ou bassin, où on mettoit les intestins de la victime offerte és sacrifices. Le Cimpule servant au Prestre, ou au Sacrificateur pour liber ou pour gouster le vin, avant que le verser sur la teste de la victime, ressemblant à une coupe vulgairement appellée Gandole. Le Litue, ou baston Augural fait en forme de crosse ; qu’on tenoit devant le Sacrificateur, quand il faisoit l’office.
A costé de ces enseignes & dans une grande fenestre ; on voit l’effigie d’un homme à cheval, fort entiere, armé de toute piece à l’antique, & vis à vis de l’autre qui est, sur la face meridionale. L’opinion commune est que c’est la figure de Catulus compagnon de Marius.
Ioignant ceste fenestre justement au dessus du tympan du grand arc ; est aussi representée une autre grande & furieuse bataille avec les effigies des vainqueurs & des vaincus, des chevaux courans, & eschappés, d’autres abatus, des gens combatans à cheval l’espée à la main, d’autres avec la lance, des hommes morts & estendus. Bref diverses postures d’une terrible & sanglante meslée d’hommes & des chevaux.
[28] Le dedans de la Tour.
Le dedans de ceste Tour, depuis le pied jusqu’au sommet ; est composé de voultes de pierre de taille, richement & artistement travaillées & eslabourées, de tout ce qui est requis en une parfaite architecture. Mais sur tout la voulte du grand arc est somptueusement enrichie, en forme d’une multitude de roses, toutes differentes, & d’ouvrages si exquis & si admirables, que tous ceux qui la considerent jugent bien que nostre aage n’en sçauroit produire de si excellens.
La voulte du petit arc du costé du couchant, est aussi fort artistement elabourée, de roses toutes differentes entrelassées de bordures exquises.
La voulte de l’autre petit arc du costé du levant, est bastie de tres grosses pierres sans artifice, mais appuyée sur grosses colomnes de pierre blanche superbement taillées en beaux ouvrages.
Au dessus de tous les arcs y à diverses chambres voultées jusques à cinq estages les unes sur les autres ; & en chasque estage diverses chambres : les voultes desquelles sont aussi trauvaillées (sic) en forme de roses ouvrées artistement.
Les murailles des chambres soustenans les voultes, sont ornées de diverses colomnes & architectures tres belles, à peu prés de mesme façon & etofe, que celles des arcs, mais beaucoup plus entieres ; avec les mesmes enrichissemens jusques à la cime de la tour ; laquelle demeure ouverte & exposée à l’injure du temps ; qui la voit journellement diminuer, par l’avarice de ceux qui sous la licence de leur autorité, en ont osé arracher de nostre temps les grandes pierres qui la couvroyent, pour en paver leurs maisons. Elle reclame le secours de quelque main plus puissante & plus curieuse pour l’entretenir.
C’est tout ce qui se peut dire sur la memorable antiquité de ce grand Arc Triomphal, je n’advance aucune chose, qui ne s’y voye à l’œuil. Ceux qui sont sur les lieux pourront suffisamment averer tout ce que j’en ay dit, & ils verront que je n’espargne en rien la verité. Plusieurs esprits curieux vienent de bien loing pour voir les raretés de ce Triomphe, & les ayant veües les admirent. Pour gratifier les peines de leur loüable curiosité, je les ay fait tirer en taille douce, pour estre exposées à toute heure à leurs yeux, & a ceux du public. »
Marginalia p. 23 :
a Arcuum forma primum erat semicircularis, postea quadrata, ita ut in medio ampla esset porta fornicata, et ex ejus utroque latere aliæ portæ minores additæ. Georg. Fabric. in sua Rom. cap. 15. Est enim arcus triumphalis, veluti perpetuò patens porta. Leo Albert. lib. 8. de re ædific. cap. 6.
b Trophea erant corpora trunca cum spoliis, sic enim Georgius Fabricius in sua Roma de tropheis Marii scribit. Inter templa sancti Eusebii, et sancti Iuliani in Esquilino moles Lateritia in qua bina Trophæa ex marmore.
Sunt autem tunica corpora cum spoliis quorum alterum thorace squamoso indutum cum ornamentis militaribus et clypeis ante se habens juvenem captivum, bracchiis ad tergum revinctis, et undique alatas victorias, alterum armis militaribus ornatum inter quæ clypei inæqualiter rotundi galea operta cum cristis clausa. In eodem inest forma chlamydis et alia quædam quæ marmore detrito et corrupto cognosci satis non possunt. Locus ille hodie Cimbricum vocatur quia de cimbris à Cajo Mario Trophea illa sunt erecta.

c Quatuor principalia signa in castris habebant Romani, lupi, minotauri, equi et Apri. Apri namque quod confecto bello inter quos pax fieret cæsa porca fœdus solerent firmare à quo qui resiliret non aliter ac porca lapidibus crudeliter obruta necaretur. Valturius de re militari lib. 10. Plin. l. 10. c. 4. »