LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Sambin, Hugues
Titre Œuvre de la diversite des termes...
Adresse Lyon, J. Durand, 1572
Localisation Paris, Ensba, 1491 F 0051 F°
Mots matière Atlantes, Caryatides, Ordres, Termes

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     Plusieurs expositions, à Dijon puis au Musée de la Renaissance à Écouen, nous ont familiarisés avec l’œuvre originale de Hugues Sambin, actif à Dijon dans la seconde moitié du XVIe siècle. Menuisier et architecte, cet artiste formé entre autres dans le milieu très fécond de Fontainebleau, familier de l’œuvre de Jacques Androuet du Cerceau, a réalisé quelques bâtiments non négligeables à Dijon (Maison Milsand) et à Besançon (façade de l’hôtel de ville).
L’Œuvre de la diversite des termes est uniquement consacré aux supports anthropomorphes. Bien que Vitruve mentionne au livre I les cariatides et les atlantes, les « termes » sont assez peu présents dans la théorie architecturale classique ; Vignole et Palladio les ignorent. En revanche, ils apparaissent fréquemment dans la pratique décorative du maniérisme italien (les « grotesques » en usent volontiers, de même que l’architecture lombarde de la seconde moitié du XVIe siècle), et ils abondent dans sa variante bellifontaine (atlantes de la Grotte des Pins). Serlio en donne quelques exemples dans le Quarto libro (1537) uniquement dans le cadre de cheminées ; ils deviennent plus fréquents dans les portes du Livre extraordinaire (1551), conçu dans l’ambiance française de la moitié du XVIe siècle. Androuet du Cerceau les emploie à l’envi durant toute sa carrière. Et l’on sait la fortune du thème dans l’Europe septentrionale chez Vredeman de Vries, Dietterlin ou Shute.
Le livre de Sambin, qui a pour précédent un recueil gravé de du Cerceau, est très révélateur de l’esthétique architecturale française du temps de la Pléiade. Il confronte en effet deux principes presque contradictoires : un culte de l’invention, de la « fureur » créatrice, de l’abondance variée, et une exigence très stricte de mise en ordre de cette matière très libre et multiforme. Comme chez Serlio, Bullant ou du Cerceau, les outils de « mise en ordre » de la diversité sont précisément les « ordres » d’architecture, qui jouent ici le rôle des « lieux communs » de la rhétorique ancienne. Ainsi les termes sont-ils classés selon les cinq catégories désormais classiques : toscan, dorique, ionique, corinthien et composite. Mais Sambin va au delà du composite pour « surcomposer » en proposant une sixième catégorie qui prétend créer de nouvelle formes en combinant des éléments pris au cinq premiers ordres, y compris le « composite » désormais considéré comme parfaitement équivalent aux autres (p. 68) : cette méthode de création fondée sur le principe de mélange, mescolenza, est, toutes choses égales d’ailleurs, celle de Michel-Ange, et aussi celle que Serlio attribue à la « fureur architectique » dans le Livre Extraordinaire, et que de l’Orme pratique avec délectation.
Six catégories donc pour Hugues Sambin, six degrés stylistiques qui vont crescendo de la rusticité toscane à l’extrême raffinement du « composé ». Dans chacune, Sambin propose systématiquement trois « termes », ce qui veut dire sous sa plume un couple formé par un terme masculin et un terme féminin. Ces dix-huit couples sont présentés de façon rigoureuse : deux gravures se répondent sur le verso et le recto de la page suivante, puis un bref commentaire est imprimé sur le verso suivant, en vis-à-vis d’un recto blanc qui permet de recaler le « terme » suivant sur un nouveau pendant verso/recto. Reste à justifier le classement, c’est-à-dire à comprendre quels éléments permettent à l’auteur de placer ses représentations dans telle ou telle catégorie. S’il est facile de comprendre pourquoi les premiers termes, très rustiques, ressortissent au toscan (termes 1 à 3), si l’on peut parfois identifier des décors d’entablement qui, évoquant un triglyphe, renvoient au dorique (termes 4 à 6), s’il est clair que l’abondance décorative et la complexité formelle vont croissant, il est impossible en revanche de distinguer ce qui dans les derniers couples signale précisément l’essence corinthienne, composite ou composée – d’autant que certains détails comme les gouttes de l’architrave, a priori doriques, réapparaissent souvent dans l’ionique ou le corinthien. De fait, la rigueur de la disposition disparaît sous l’invention dans le détail des formes : la sculpture l’emporte sur l’architecture, et dans les entablements, le répertoire ornemental vitruvien cède le pas à une fantaisie morphologique et à une liberté syntaxique qui brouillent les pistes.
L’Œuvre de la diversite des termes n’a pas été rééditée même si tous les exemplaires ne sont pas parfaitement identiques. Sans doute le livre fut-il utilisé par quantité d’ornemanistes, de menuisiers et de huchiers ; son impact direct sur la grande architecture paraît toutefois limité. Il est encore cité en 1624, à côté de l’ouvrage sur les termes de Boillot, dans l’Architecture françoise des bastimens particuliers de Louis Savot et par Nicolas Catherinot dans son Traité de l’architecture de 1688. Mais l’esthétique dont il relève, celle d’un sublime fondé sur l’abondance, la richesse et la licence, celle qui, en germe chez Ronsard, s’exaspère chez Jodelle et à la fin du siècle, n’est plus guère de mise en architecture alors que Salomon de Brosse bâtit le Luxembourg.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) - 2004

Bibliographie critique

E. Berckenhagen, « Hugues Sambin und der Anonymus Destailleur », Berlineer Museen, 2, 1969, pp. 65-74.

A. Erlande-Brandenburg et al. (éd.), Hugues Sambin. Un créateur au XVIe siècle (vers 1520-1601), Les Cahiers du Musée National de la Renaissance, I, Paris, RMN, 2001.

E. Forssmann, Säule und Ornament. Studien zur Problem des Manierismus in den nordischen Säulenbücher und Vorlageblättern des 16. und 17. Jahrhunderts, Stockholm/Uppsala, Almqvist & Wiksell, 1956.

M. Guillaume et al. (éd.), Hugues Sambin, catalogue de l'exposition du Musée des Beaux-Arts of Dijon, Dijon, Musée des Beaux-Arts, 1989.

H.-S. Gulczynski, L’architecture à Dijon de 1540 à 1620, thèse de doctorat, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1997.

H.-S. Gulczynski, « L'Oeuvre de la Diversité des Termes de Hugues Sambin, à Lyon en 1572 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire vive, 2004, p. 462-465.

J. Thirion, « Les termes de Sambin, mythe et réalité », Art, objets d’art, collections. Hommage à Hubert Landais, [Paris], Blanchard, 1987, p. 151-159.

Y. Pauwels, L’architecture au temps de la Pléiade, Paris, Monfort, 2002.

Y. Pauwels, « Vitruvianisme et “réduction” architecturale au XVIe siècle », H. Vérin & P. Dubourg-Glatigny (éd.), Réduire en Art. La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2008, pp. 97-114.

Y. Pauwels, Aux marges de la règle. Essai sur les ordres d’architecture à la Renaissance, Wavre, Mardaga, 2008, p. 109-111.

 

Notice

Oeuvre de la diversité des termes dont on use en architecture, réduict en ordre par maistre Hugues Sambin,... - A Lyon : par Iean Durant, 1572.
- In-fol., 77 p., fig.
Certains exemplaires comportent un dernier feuillet : « Imprimé à Lyon par Iean Marcorelle. 1572 ».
Berlin Katalog 3920 ; Brunet V, 104 ; Cicognara 646 ; Fowler 285 ; RIBA 4104.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1491 F 0051 F°.
*Notes :
- Comprend le feuillet d'imprimeur en fin de volume - Reliure de parchemin ancienne.
- Mention manuscrite sur la page de titre : « …laillard 1573 a Lyon en aoust ».
- Legs d’Édouard Gatteaux, 1883.