LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Perrault, Charles
Titre Parallèle des Anciens et des Modernes
Adresse Paris, J.-B. Coignard, 1688
Localisation Besançon, Bibliothèque municipale, 265190
Mots matière Architecture, ordres, machines, stéréotomie
Transcription du texte

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     Charles, le cadet des frères Perrault, abandonna la carrière juridique peu après avoir été reçu avocat au barreau en 1651. Il devint alors le commis de son frère Pierre, receveur général des finances à Paris. En 1664 il passa au service de Colbert dont il fut le collaborateur infatigable et l’homme de confiance pendant près de vingt ans, en tant que commis du surintendant des Bâtiments du roi puis contrôleur général des Bâtiments. Secrétaire de la Petite Académie (future Académie des inscriptions et belles lettres) dont il est membre avec Jean Chapelain, l’abbé Amable de Bourzeis et l’abbé Jacques Cassagne, il fut aussi chargé de la propagande royale. Élu à l’Académie française en 1671, il est au faîte de la faveur. Quelques mois avant la mort de Colbert (1683) qui lui préfère son fils, il est écarté de sa charge. Victime de l’hostilité de Louvois, nouveau surintendant des Bâtiments, Charles perd aussi son poste au sein de la Petite Académie. Tous ses efforts pour gagner la confiance de Louvois s’avèrent vains, malgré la lecture à l’Académie de son poème le Siècle de Louis le Grand en 1687 qui relance de la querelle des Anciens et des Modernes et la publication du Parallèle des Anciens et des Modernes, plaidoyer pro domo publié en quatre volumes (1688-1697) sous forme de dialogues. La disgrâce a poussé Charles Perrault à renouer avec les belles lettres, auxquelles il s’était adonné dans sa jeunesse. En 1653 il avait publié chez Louis Chamhoury Les murs de Troye, ou l’origine du burlesque en collaboration avec Beaurain et ses frères Claude et Nicolas ; il est aussi l’auteur avec eux d’une traduction du sixième livre de l’Enéide, en burlesque – inédite jusqu’en 1901 (Revue d’histoire littéraire de la France). C’est en raison de la polémique suscitée par sa lecture du Siècle de Louis le Grand à l’Académie que Charles a décidé de publier son Parallèle, moins pour répondre aux diverses critiques que, comme il le précise dans sa Préface, pour « désabuser ceux qui ont cru que mon Poëme n’estoit qu’un jeu d’esprit, qu’il ne contenoit point mes véritables sentimens ». De fait il maintient dans son œuvre en prose que si « les Anciens sont excellents, comme on ne peut pas en disconvenir, les Modernes ne leur cedent en rien, & les surpassent mesme en bien des choses ». Il le répète encore dans ses Mémoires rédigés en 1702.
Le premier tome du Parallèle, publié en 1688 chez l’imprimeur du Roi et de l’Académie française Jean-Baptiste Coignard, est assez logiquement consacré aux arts et aux sciences. En effet pour servir la cause des Modernes il est plus judicieux de commencer par évoquer les incontestables progrès techniques et scientifiques dus à l’accumulation du savoir humain au fil des siècles. En même temps le traitement de faveur accordé à l’architecture, considérée comme le premier des beaux-arts, s’explique par l’intérêt ancien de Charles pour l’art de bâtir, à qui, s’il faut le croire, il doit sa carrière.
Le tome inaugural qui s’ouvre sur une préface et le privilège met en scène trois personnages (le président, l’abbé et le chevalier) qui décident de se rendre à Versailles en l’absence du roi. Après un premier dialogue sur la prévention en faveur des Anciens (p. 1-107), Perrault en vient au Parallèle proprement dit sur les beaux-arts (p. 109-252). Celui qui avait été chargé de surveiller les bâtiments royaux et avait conclu les marchés d’adjudication ne peut que faire la part belle à l’architecture (p. 110-176) et à Versailles, magnifique condensé « de beautés toutes nouvelles ». Les trois personnages commencent la visite à l’étage noble par les grand appartements du roi et de la dauphine, les galeries, les salons de la Guerre et de la Paix, le petit appartement du roi, émerveillés par la profusion des marbres, la richesse des lambris et des planchers, la qualité des peintures et des sculptures. Au rez-de-chaussée ils se rendent dans le fameux appartement des bains et vont dans le parc admirer du parterre la façade sur jardin. C’est l’occasion pour l’abbé, favorable aux Modernes et partant porte-parole de Charles Perrault, d’exposer sa conception de la beauté en architecture (beautés naturelles et positives opposées aux beautés arbitraires : proportions, ornements…). Pour Charles c’est à la qualité de la construction (p. 138) et à sa solidité (p. 159), à la commodité et à la distribution, enfin à la magnificence que l’on reconnaît le grand architecte (p. 159-160). Or en tous ces domaines la supériorité des Modernes est indéniable : le Panthéon, parangon de l’excellence antique, entre autres défauts, n’a pas deux colonnes du portique de même grosseur (p. 162-163). Les Anciens ne maîtrisaient pas l’art du trait ou de la taille des pierres (p. 168 sq.), qui permet de réaliser de larges entrecolonnements, d’édifier des trompes « étonnantes », des rampes d’escalier sans appui. En outre la stéréotomie a induit l’invention de machines spécifiques « qui n’élèvent pas seulement les pierres à la hauteur que l’on désire, mais qui les vont poser précisément à l’endroit qui leur est destiné » (p. 172). En fin de compte seule compte la beauté de la structure et la Colonnade du Louvre en est le meilleur exemple (p. 175 sq.) : grandeur des pierres, qualité de l’appareillage aux joints quasi invisibles.
Toutes ces idées ont déjà été publiées par Claude Perrault dans ses Vitruve (1673 et 1684) ou dans l’Ordonnance des cinq espèces de colonnes (1683), à laquelle l’abbé renvoie du reste ses interlocuteurs à propos de l’abus du changement des proportions (p. 152). Mais elles sont sans aucun doute celles de Charles. Son goût pour l’architecture est ancien : en 1657 c’est lui qui s’est chargé du nouveau corps de logis de la propriété familiale de Viry et a supervisé tous les travaux. Cette compétence lui avait valu en 1664 la charge de commis auprès de Colbert, bien que ce dernier ait ruiné son frère Pierre (Mémoires, Paris, Macula, 2001, p. 125). On sait que Charles fut à l’origine de nombreux projets architecturaux, de la grotte de Thétis à Versailles (démolie en 1684 pour la construction de l’aile nord du château) à l’arc de triomphe de la Porte Saint-Antoine, en passant par le « péristyle » du Louvre (Colonnade) dont Claude donna chaque fois les dessins. Charles est du reste à l’origine de la vocation architecturale de son frère, médecin de formation et son aîné de quinze ans : c’est grâce à lui que Claude est chargé en 1667 du projet de l’Observatoire pour l’Académie des sciences créée l’année précédente. La même année, il le fait entrer au Petit Conseil pour l’achèvement du Louvre aux côtés de Le Brun et Le Vau pour qu’il participe au projet de la façade orientale du palais après l’échec de Bernin. Le Parallèle sur les beaux-arts est donc pour Charles l’occasion de justifier la politique artistique de Colbert et les choix que lui-même a pu faire : il s’attribue notamment la paternité de la Colonnade et se considère comme le véritable inspirateur et instigateur des plus belles réalisations de son époque. Attaqué par François d’Orbay et d’autres à propos de la Colonnade, Charles complète ce testament artistique dans ses mémoires, qu’il laisse toutefois à l’état de manuscrit (Mémoires de ma vie).
Le premier tome du Parallèle s’achève sur deux pièces en vers, le Siècle de Louis le Grand déjà publié l’année précédente qui est la cause et l’origine de l’ouvrage, et l’épître à M. de Fontenelle Le génie : le neveu de Pierre et Thomas Corneille s’impose en effet avec sa Digression sur les Anciens et les Modernes (Paris, 1688) comme un redoutable partisan des Modernes. Les trois autres tomes, publiés par la veuve et le fils de Jean-Baptiste Coignard mort en 1689, traitent respectivement de l’éloquence (1690), de la poésie (1692) et de diverses matières telles que l’astronomie, la géographie, la philosophie, etc. (1697). Les libraires-imprimeurs en profitent pour rééditer en 1692 et 1693 les deux premiers tomes. Le parti des Anciens eut incontestablement l’appui de Versailles. La personnalité de Charles, souvent exécré en raison de son rôle auprès de Colbert, a peut-être desservi la cause des Modernes jusqu’à l’entrée en lice de Fontenelle, esprit brillant et indépendant, figure scientifique reconnue, dont les arguments avaient une toute autre portée. Malgré la trêve de 1694 officialisée par l’embrassade de Boileau et de Perrault, chefs des deux partis, la querelle s’internationalise à la fin du XVIIe siècle et la « Querelle d’Homère » va alors enflammer aussi bien Paris que Londres et Naples.

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2010

 

Bibliographie critique

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P. Bonnefon, « Charles Perrault. Essai sur sa vie et ses ouvrages », Revue d’histoire littéraire de la France, 11, 1904, p. 365-420.

P. Bonnefon, Introduction à Charles Perrault, Mémoires de ma vie, Paris, Librairie Renouard, Laurens, 1909, p. 1-17(rééd. : Paris, Macula, 1993 ; 2001).

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H. Gillot, La Querelle des Anciens & des Modernes en France : de la « Défense et illustration de la langue française » aux « Parallèles des Anciens et des Modernes », Paris, Champion, 1914.

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Notice

Parallèle des Anciens et des Modernes, en ce qui regarde les arts et les sciences ; dialogues avec le poème du Siècle de Louis le Grand et une épistre en vers sur le génie par M. Perrault..., Paris, J.-B. Coignard, 1688. In-12°.
Besançon, Bibliothèque municipale, 265190.