LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Valladier, André
Greuter, Mathieu
Titre Labyrinthe royal de l’Hercule gaulois triomphant...
Adresse Avignon, J. Bramereau, 1600
Localisation Paris, Binha, 4 Res 814
Mots matière Entrée

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     Avignon connut aux XVIe et XVIIe siècles nombre d’entrées solennelles : celles qui étaient faites aux légats et vice-légats, représentants de l’autorité du pape sur la ville, et celles qui étaient réservées aux monarques du puissant royaume de France, dans lequel est enclavée la cité régnicole. Celle que les Avignonnais préparèrent en 1600 pour fêter Henri IV et sa nouvelle épouse Marie de Médicis, qui venait de débarquer à Marseille, aurait dû être particulièrement fastueuse. Mais le roi n’était apparemment pas trop pressé de rejoindre la reine, et il resta plus longtemps que prévu à batailler dans ses provinces du nord. De fait, Avignon dut se contenter de recevoir la jeune souveraine.
Le livret qui relate cette entrée est des plus imposants : plus de deux cents pages. L’auteur, André Valladier, n’est pas nommé, mais il cite l’œuvre comme sienne dans un autre de ses livres, la Tyrannomanie estrangère, ou Pleinte libellée au Roy... (Paris, Chevallier, 1626). Né vers 1565, il était entré chez les Jésuites en 1586 et lors de l’entrée, il était professeur de rhétorique à Avignon (où il compta parmi ses élèves le jeune Fabri de Peiresc). Son Labyrinthe dut plaire à Henri IV, car le roi lui demanda en 1607 de rédiger les annales de son règne, et lui procura l’abbaye de Saint-Arnould à Metz après que notre rhétoricien eut quitté, non sans quelques démêlés avec Rome, la Compagnie. On lui doit par ailleurs de nombreux ouvrages, dont un traité de l’art oratoire, les Partitiones oratoriae, paru en 1621 à Paris chez le libraire Pierre Chevallier, qui avait déjà publié en 1613 un recueil de sermons, Les divines parallèles de la Sainte Eucharistie.
Le Labyrinthe est de fait un ouvrage très riche du point de vue rhétorique. Œuvre « septénaire », structurée par sept étapes principales dédiées chacune à une vertu du roi mise en parallèle avec l’un des travaux d’Hercule et illustrée par un arc, la narration est enrichie d’innombrables anagrammes, de quantité de poésies françaises et latines, de harangues de circonstances, de nombreuses digressions sur les sujets les plus variés, la perfection du nombre sept, la généalogie des maisons de France et Médicis, l’histoire d’Avignon, les éloges des précédents légats, sans parler des perpétuelles piques adressées aux Huguenots. De cette copia verborum, Valladier était assez fier : après son départ de la Compagnie, il vint visiter à Moulins le savant Antoine de Laval et lui présenta, selon les dires de ce dernier, « un sien œuvre sur l’entrée de la Reine-Mère du Roi venant en France l’an 1600, œuvre à dire la vérité pleine de très belles recherches d’Antiquité, embellie de toutes sortes d’érudition et de doctrine, de poésie, de devises d’emblèmes, d’énigmes, de gryphes, d’inscriptions, mais d’un langage si rempli de métaphores, de figures, si parsemé de mots transposés, qu’étant pressé par lui-même de lui en dire mon avis, je fus forcé enfin de lui répondre que si nous parlions comme il écrivait, il nous faudrait dire que Messieurs Du Perron, Amyot, Du Vair, Coeffeteau et les autres grandes lumières de notre France n’avaient pas su notre langue, puisque la sienne était du tout différente, voire contraire à la leur, ou que sa manière d’écrire était nouvelle et vicieuse, tant elle m’était nouvelle et presque étrangère » (Homélies de saint Jean Chrysostome, Paris, Cramoisy, 1621 ; cité par M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence..., p. 274.).
Cette exécution du style littéraire de Valladier, qui sent parfaitement son XVIIe siècle « classique », pourrait s’appliquer aux architectures sans doute aussi conçues par lui, même si leur réalisation avait été confiée au peintre Pierre Duplan, et les gravures à un artiste strasbourgeois installé alors à Avignon, Mathieu Greuter. Les structures feintes de l’entrée ont été très soignées et richement exécutées : « il ne faut pas », précise l’auteur, « que le lecteur pense qu’il ait rien de plate peinture, aux temples, tours, galeries, colonnes, piédestaux, corniches, et autres appartenances des sept arcs ; car tout était en relief de bois uni de toile par dessus, où il était de besoin peint et verni en toute sorte de marbre, jaspe et porphyre ; tous les chapiteaux et leurs bases dorées et argentées à rechange ; l’ordre des colonnes tantôt ionique, tantôt dorique, tantôt corinthe, tantôt composé, selon les occurrences, avec les convenances d’architecture gardées en tout ; les uns doubles les autres simples ; toutes les frises d’une même couleur écrites de jaune sur l’azur ; les corniches, architraves, frontispices et couronnements diversifiés de toute sorte de jaspe, marbre et porphyre, et parfois de bronze, où le cas le requerrait ; toutes lesquelles choses faisaient montre et ouvrage de grande majesté et magnificence, car c’est bien autre de voir un si grand nombre de colonnes, et d’arcs tous relevés, et à jour avec toutes leurs appartenances, que des pilastres feints en plate peinture sur des ais rapiécés l’un avec l’autre » (p. 53). Mais cette richesse va de pair avec un style encore très maniériste : les licences sont nombreuses dans les arcs tels qu’ils sont représentés dans le livret, et les sources d’inspiration très typiques du grand style tel que le concevait le XVIe siècle finissant. Le premier arc, à la porte du ravelin de Saint-Lazare, est une amplification d’un modèle du Livre Extraordinaire de Serlio (arc XVI). On y retrouve la structure caractérisée par deux couples de colonnes surmontés de petits frontons segmentaires, et, au centre, le jeu si serlien de l’interruption de l’entablement par les claveaux de l’arc. L’elocutio, bien sûr, a été enrichie et adaptée aux nécessités du discours présent ; le dorique « propre et ordinaire des guerres » remplace le corinthien, les trophées guerriers et les emblèmes pontificaux illustrent la gloire du roi et la puissance du pape. Mais les licences architecturales héritées du style maniériste sont nombreuses ; outre l’interruption de l’entablement déjà mentionnée, on voit disparaître les triglyphes de la frise, et l’ornement sommital constitué de deux demi-frontons segmentaires terminés en volutes affirme clairement son caractère michelangelesque. Le « temple de Janus » présente des termes animaux dont l’idée pourrait bien avoir été soufflée à Valladier par les Nouveaux portraits et figures de termes de Joseph Boillot (Langres, 1592). Pour les autres arcs, l’auteur place volontiers entre les chapiteaux et les entablements des figures sculptées, anges, volutes à têtes de béliers, lions, ou autres figures certes pittoresques mais incompatibles avec la véritable architecture.
De fait, dans son écriture comme dans ses représentations architecturales, le Labyrinthe est parfaitement représentatif de l’art français sous Henri IV : cette période, qui reste encore imprégnée par le style de Philibert De l’Orme et Ronsard, ne pouvait plaire aux contemporains de Mansart et Boileau. Les critiques que Pierre de Laval adresse à Valladier ressemblent beaucoup à celles que Fréart de Chambray adressera à l’architecture française du XVIe siècle – et il est au reste très significatif que la polémique anti-maniériste à laquelle participe ce dernier concerne la construction de Saint-Paul-Saint-Louis, église de la Maison Professe des Jésuites de Paris.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2008

Bibliographie critique

L. Brièle, La bibliothèque d’un Académicien au XVIIe siècle. Inventaire et prisée des livres rares et des manuscrits de Jean Ballesdens, suivi de son testament, Paris, Imprimerie nationale, 1885.

F. de Forbin, « Le Labyrinthe royal de l’entrée triomphante… », F. de Forbin (éd.), Les entrées solennelles à Avignon et Carpentras. XVIème-XVIIIème siècles, catalogue d'exposition, Avignon, Bibliothèque Municipale, sept-oct 1997, [Paris], Direction du Livre et de la Culture, 1997, p. 57-59.

M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et « res littéraria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Paris, Albin Michel, 1994, p. 274-276 (1ère éd. : Genève, Droz, 1980).

M. McGowan, « Les Jésuites à Avignon : les fêtes au service de la propagande politique et religieuse », J. Jacquot & É. Koningston (éd.), Les fêtes de la Renaissance, 3, Paris, CNRS, 1975, p. 153-171.

Y. Pauwels, « Les entrées : la fête, l’architecture, le livre », F. de Forbin (éd.), Les entrées solennelles à Avignon et Carpentras. XVIème-XVIIIème siècles, catalogue d'exposition, Avignon, Bibliothèque Municipale, sept-oct 1997, [Paris], Direction du Livre et de la Culture, 1997, p. 13-29.

 

 

Notice

Labyrinthe royal de l’Hercule gaulois triomphant. Sur le suject des fortunes, batailles, victoires, trophées, triomphes, mariage, & autres faicts heroiques, & memorables de tres-auguste & tres-chrestien prince Henry IIII roy de France, & de Navarre. Representé a l’entrée triomphante de la royne en la cité d’Avignon. Le 19. Novembre. L’an M. DC. Ou sont contenuës les magnificences et triomphes dressez à cet effect par ladicte ville. – En Avignon : Chez Jaques Bramereau, [1601].
[12] f., 244 p. [i. e. 56 cahiers de 4 f. et 12 f. de planches] ([-]-[---]4, A-Ee4) ; [12] planches gravées sur cuivre ; in-4° (289x200 mm).
Seule édition connue.
Erreurs de pagination. Les planches sont extérieures aux cahiers mais comprises dans la pagination.
Exemplaire incomplet de deux portraits gravés d’Henri IV et Marie de Médicis.
Reliure XVIIe parchemin, encadrement à double filet doré avec au centre fer représentant une couronne feuillagée dorée, dos long orné de fleurons, double filet doré en place des nerfs, titre manuscrit à l’encre brune : « Labyrinthe royal. Entrée de la Reyne. Avignon 1600. Hercules Gaulois ou Henry IV ».
Barbier, II, 1064 ; Duportal 6 ; Hollstein, XII, 252 ; Ruggieri 341 ; Vinet 480 ; Watanabe 1686.
Paris, Bibliothèque de l’Inha, 4 Res 814.
*Notes :
- Ex-libris manuscrit de Jean Ballesdens (1595-1675).
- Ex-libris manuscrit à l’encre brune « Estienne Corroier, sr de ?? ».
- Mention manuscrite « LC de T ».
- Probablement entré dans les collections de la BAA avant 1912.