LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Pélerin, Jean, dit Viator
Titre De artificiali perspectiva...
Adresse Toul, P. Jacques, 1505
Localisation Paris, Ensba, Masson 1076
Mots matière Perspective

English

     La première édition du De artificiali perspectiva fut imprimée à Toul en 1505. Les exemplaires en sont assez rares. Le volume est un in-folio de 46 feuillets non chiffrés. Le texte latin est imprimé recto-verso sur trois feuillets, les illustrations occupent les rectos de 37 feuillets, et le texte français trois feuillets recto-verso.
Le texte latin est illustré : au recto du premier feuillet est tracée la « linea piramidalis » ou « orizontalis » sur laquelle sont posés le point principal et le deux tiers-points. Au verso du même folio apparaît la ligne dite ligne de terre, sur laquelle sont marqués les points fixes de l’ouverture du compas (« cum circino apte aperto »). Une troisième gravure, au recto du deuxième folio de texte, illustre les « figures », surfaces et volumes simples. Ces images sont les seules qui soient insérées dans le texte, et en strict rapport avec lui. Elles ne réapparaissent pas dans le texte français. Entre ce texte en vulgaire et le texte latin, sur des planches autonomes, se trouvent les « figures exemplaires ». Ces illustrations n’entretiennent aucun rapport direct avec le texte et forment un recueil de modèles. Il est intéressant de noter que dans les cas où l’architecture est prédominante, le plan apparaît, avec un minimum d’indications permettant de réaliser le raccourci. Les dessins, de pur contour, sont traditionnellement attribués à Jean Pélerin lui-même.
Le De artificiali perspectiva est le premier traité de perspective imprimé : le De pictura de Leon Battista Alberti, le De prospectiva pingendi de Piero della Francesca et le traité de Léonard de Vinci étaient encore manuscrits en 1505. Viator transmettait une méthode fondée sur deux points de distance, qui, selon les études d’Erwin Panofsky puis de Liliane Brion-Guerry, a été considérée comme le produit d’une culture spécifiquement française, en opposition ou quasi- opposition à la méthode de l’intersection des rayons visuels sur une ligne perpendiculaire à la ligne de terre, décrite par Alberti. L’idée avancée par Panofsky que la méthode albertienne correspondait à la « costruzione legittima » imaginée par Brunelleschi contribua à renforcer cette polarisation « nationale » opposant la méthode de Viator au « modo ottimo » enseigné par Alberti dans son De pictura.
Les études les plus récentes ont montré que le terme comme le concept de « costruzione legittima » étaient anachroniques, dans la mesure où ils furent élaborés pour la première fois par Heinrich Ludwig en 1882. Nous savons en outre que la méthode à deux points de distance était connue en Italie dès les années 1445. Elle est de fait clairement attestée dans la sinopia de la Nativité peinte par Paolo Ucello au Chiostro dello Spedale à San Martino alla Scala, à Florence.
Parmi les « figures exemplaires » de l’édition de 1505 du De artificiali perspectiva, Pélerin, pour faire une démonstration de l’application de la « perspective diffuse » ou « perspectiva cornuta », c’est-à-dire la composition par deux points de distance, choisit une représentation de la Cour de Justice qui est reprise du Lit de Justice de Vendôme en 1458, miniature du manuscrit connu sous le nom de Boccace de Munich (BSB, Cod. gall. 6 [12]) inspirée de Fouquet. On peut en déduire que la méthode ne fut pas inventée par Viator, mais qu’il se contente de la transmettre. La question critique qui reste posée dans l’état actuel des connaissances est celle des contacts et des échanges entre les deux pôles géographiques et culturels : Fouquet pourrait bien être l’un des médiateurs entre les deux mondes, mais sans doute n’est-il pas le seul.
De fait, le De artificiali perspectiva ne peut être réduit à la seule méthode des deux points de distance. On y trouve plusieurs thèmes et plusieurs modes de perspective. On peut le constater par exemple dans la troisième « figure exemplaire », qui montre un paysage : le schéma perspectif utilisé ici est très proche de celui mis en œuvre par Léonard dans une étude pour l’Adoration des Mages datée de 1481 environ (Florence, Gabinetto Disegni e Stampe degli Uffizi). Dans les deux cas, la perspective linéaire est appliquée à un espace ouvert, sans architecture ou très peu. Les lignes transversales parallèles à la ligne de terre sont plus nombreuses que celles qui seraient obtenues à partir des intersections entre la diagonale (représentée dans les deux images) et les lignes qui rejoignent le point de l’œil aux divisions de la ligne de terre (Viator représente les divisions, mais pas les lignes). La ressemblance entre les deux schémas perspectifs peut difficilement être attribuée au hasard.
La confrontation des ces deux exemples laisse à penser que le traité de Viator ne peut plus être considéré comme « l’héritier d’une tradition locale » (Brion-Guerry 1962, p. 112), mais plutôt comme le « compendium » ou « abrégé », termes utilisés dans la première page de texte) de connaissances répandues au Quattrocento dans un réseau culturel qui permettaient aux informations de circuler entre Italie et France, et dont il serait nécessaire de reconstituer les articulations, probablement en partant de Fouquet et de Léonard, dont les rapports avec le traité de Viator ont déjà été remarqués par Liliane Brion-Guerry.

Pietro Roccasecca (Accademia di Belle Arti, Rome) - 2006

Bibliographie critique

J. Pélerin, De Artificiali Perspectiva (1505, 1509), New York, Da Capo Press, 1973.

L. Brion-Guerry, Jean Pélerin Viator. Sa place dans l’histoire de la perspective, Paris, les Belles Lettres, 1962.

P. Roccasecca, « La finestra albertiana », F. Camerota & C. Acidini Luchinat (éd.), Nel segno di Masaccio. L’invenzione della prospettiva, Florence, Giunti, 2001, p. 65 –67.

P. Roccasecca, « Il foglio RF 430 del Louvre: una prospettiva per due punti di distanza e la presenza a Roma di Jean Fouquet », Ricerche di Storia dell’arte, 87, 2005, p. 13- 20.

 

 

Notice

De Artificiali perspectiva. Viator.
Au fol. E[IX] r° : Summe faber rerum qui perspicis omnia solus ad te directo calle Viator eat. Amen. - Au fol. E[X] r° : Habes, optime lector, de Perspectiva positiva perfacile compendium... Impressum Tulli, anno catholica veritatis quingentesimo quinto supra millesimum, ad nonum calendas julias, solerti opera Petri Jacobi, presbyteri, incole pagi Sancti Nicolai.
Toul, 1505 : « solerti opera Petri Jacobi, presbiteri ».
In-fol., 46 ff. dont le titre, 8 ff. de texte et 37 planches gravées sur bois, figure gravée au titre.
La traduction française du texte latin occupe les 3 derniers feuillets. De cette 1ère édition, ne subsistent que 14 exemplaires (Brion-Guerry, 1962, p. 154).
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Masson 1076
*Notes :
- Reliure de parchemin contemporaine avec lacs de cuir.
- Devise latine (avec jeu de mots sur le nom du propriétaire Jean de Beaujeu) datée 1527 au verso du dernier feuillet (L. Couture, « L'architecte Jean de Beaujeu bibliophile », Revue de Gascogne, 1896, p. 178-179).
- Exemplaire mentionné « chez un collectionneur français » dans l’ouvrage de L. Brion-Guerry.
- Donation Jean Masson à l’École des Beaux-Arts, 1925.