LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Loris, Daniel
Titre Le thresor des parterres de l’univers...
Adresse Genève, É. Gamonet, 1629
Localisation Paris, Ensba, Les. 524
Mots matière Jardins

English

     Les historiens des jardins anciens se réfèrent souvent aux gravures du Thresor des parterres de l’univers. Il s’agit de l’un des premiers livres de modèles destiné aux « Parterres » et, semble-t-il, de la plus grande collection de « pourtraits » dessinés dans un style caractéristique de la Renaissance. Pourtant, une étude critique de cette œuvre reste à faire. L’examen du contexte culturel dans lequel paraît le Thresor pourrait justifier sa genèse et son contenu. Au début du XVIIe siècle, l’enclave wurtembergeoise de Montbéliard est un carrefour important entre les espaces linguistiques latins et germaniques. Montbéliard est une ville protestante et les prédications sont dites en allemand dans l’église du château et en français dans le temple Saint-Martin. Aussi la rédaction du Thresor en latin, français, anglais et allemand participe-t-elle au caractère wurtembergeois de cette oeuvre. La concurrence entre les cultures française et germanique a sans doute conditionné la classification des « Parterres » choisie par Daniel Loris. En effet, ce dernier distingue les « Parterres François » des « Parterres Allemands ». Cette répartition est-elle justifiée du point de vue de l’histoire européenne des jardins ou est-elle plus influencée par le contexte biculturel local ?
Daniel Loris est médecin lorsqu’il fait paraître son recueil d’ornements. Cette profession est alors intimement liée aux pratiques horticoles, car on cultive de nombreuses simples dans les jardins aristocratiques. Comme l’indique l’épître dédicatoire, l’auteur est au service des ducs de Wurtemberg, comtes de Montbéliard. Ulrich (1487-1550) est amateur de sciences et notamment de botanique. En 1570, il invite le botaniste Jean Bauhin dans la principauté et rassemble dans son jardin les végétaux les plus rares de son temps. Frédéric Ier qui règne de 1558 à 1608 pratique l’alchimie ; il aménage un laboratoire près de sa chambre et dépense une fortune dans ses expériences. À Stuttgart, capitale du duché, il fait aménager les jardins du Lusthaus (1580-1593). À Leonberg, la duchesse Sybilla de Wurtemberg est la commanditaire d’un autre jardin prestigieux : le Pomeranzengarten, un « jardin d’oranges amères » qu’Heinrich Schickhardt dessine en 1609. Jean-Frédéric de Wurtemberg-Montbéliard (1582-1628), successeur de Frédéric Ier, règne sur Montbéliard de 1608 à 1617, avant de céder la principauté à son frère Louis-Frédéric (1586-1631), protecteur de Daniel Loris. Ce dernier dédie son ouvrage à Léopold-Frédéric, fils de Louis Frédéric, né en 1624. La dédicace datée de 1629 porte la signature « D. Loris. B. Doct. Med. » . Aussi, cette œuvre qui témoigne de l’engouement des princes de Wurtemberg pour les jardins, n’est-elle probablement pas posthume.
Les membres de la lignée de Wurtemberg, mécènes clairvoyants, attirent à la cour de Montbéliard des personnalités chargées de développer l’art des jardins. Malgré l’enclavement, le petit territoire est alors doté d’un jardin remarquable par son ancienneté et sa renommée. D’après Paul de Resener, le « Grand Jardin » de Montbéliard est mentionné dès 1478. Jean Bauhin (1541-1612) y établit en 1578 un jardin botanique ; on y cultive les pommes de terre qui ne sont pas encore consommées. Avant Daniel Loris, le célèbre botaniste est honoré du titre de médecin personnel du comte de Montbéliard et il occupe ce poste jusqu’à sa mort. Pour mettre en évidence la finalité du Thresor, il faut s’intéresser aux œuvres de Jean Bauhin et de son frère Gaspard en tant que genre d’écrit scientifique. Le principal traité de Jean, l’Historia plantarum universalis, publié à titre posthume en 1650-1651, est une compilation de tout ce qui était connu en botanique de son temps. L’ouvrage décrit plus de 5 000 plantes et comporte plus de 3577 illustrations. Gaspard (1560-1624) est professeur de grec et de botanique lorsque, en 1596, il entre au service de Frédéric Ier, qui le fait premier médecin personnel conjointement avec son frère. Parmi de nombreuses publications, son œuvre majeure le Pinax theatri botanici (1623) établit la concordance de tous les noms que les divers auteurs ont donné à la même plante. L’imposant herbier de Gaspard Bauhin conservé à la bibliothèque du jardin botanique de Bâle contient 2360 plantes. Les spécialistes considèrent que l’œuvre des frères Bauhin n’est pas innovante, mais qu’elle a le mérite d’avoir synthétisé tout le savoir acquis jusqu’à eux. Or le Thresor semble aussi le fruit d’une volonté de rassembler toutes les connaissances sur un sujet. Le livre de modèles de Daniel Loris serait donc l’aboutissement d’un projet de compilation où l’auteur, ne s’intéressant pas aux végétaux largement étudiés par ses prédécesseurs, se consacrerait à l’ornementation des parcelles où ils sont cultivés. Ainsi, c’est le même besoin de recueillir des merveilles rares et étranges, naturelles ou conçues par l’homme, qui s’exprime dans les œuvres des trois médecins de Montbéliard. Un désir analogue est à l’origine des collections des Wunderkammern. Loris l’exprime clairement, car selon son épître dédicatoire, les parterres sont autant de salles décorées destinées à recevoir les pièces d’une collection de végétaux.
Au début du XVIIe siècle, l’aménagement d’un jardin princier requiert des compétences liées au savoir botanique et à l’architecture. En 1590, l’architecte wurtembergeois Heinrich Schickhardt (1558-1634) est remarqué par le comte Frédéric qui l’appelle à son service. De 1595 à 1598, le jeune architecte révèle son talent à Montbéliard, en Alsace et en Wurtemberg. Puis il se fixe à Montbéliard de 1598 à 1608 où il exerce en tant qu’urbaniste, architecte, ingénieur civil et militaire, inventeur et créateur de nombreux jardins d’agrément. Il intervient alors dans l’aménagement du Grand Jardin pour y édifier une maison de plaisance et un manège construit en 1623 et 1624. Une vue du Pomeranzengarten de Leonberg qu’il dessina nous est parvenue : le jardin est composé de huit « Compartiments » d’un type nommé « Parterres de carreaux rompus » par Charles Estienne et Jean Liébault et « Parterres Allemands » par Daniel Loris. Une comparaison entre les ornements du Pomeranzengarten (1609) et les « Parterres Allemands » du Thresor (1629) révèle des ressemblances dans les compositions. Pourtant, aucun motif de la vue du jardin de la duchesse de Wurtemberg n’est directement visible dans le livre de modèles, les « pourtraits » de Daniel Loris étant généralement plus complexes – peut-être le résultat de deux décennies d’expérimentations.
Le Thresor comprend également des « Compartiments » ornés d’entrelacs nommés « Parterres François » qui diffèrent sensiblement de leurs ancêtres de l’Hypnerotomachia Poliphili (1499). En revanche, ils sont proches des modèles de la Maison Rustique (1582-83) de Charles Estienne et Jean Liébault – bien que d’autres solutions du Thresor, telles que les « couronnes », semblent inédites. Les « Parterres » du Thresor sont donc plus sophistiqués et plus diversifiés que dans les sources antérieures. Néanmoins, ils s’inscrivent dans un style d’un autre âge si on considère l’art des jardins pratiqué en France au début du XVIIe siècle. En effet, il est généralement admis que les expérimentations conduites en 1595 par Claude Mollet et Etienne du Pérac dans les jardins d’Anet donnent de nouveaux « Parterres » progressivement préférés aux autres ornements. Le jardinier et l’architecte utilisent alors l’« arabesque » constituée d’un réseau d’organes végétaux stylisés, qu’ils composent en se servant principalement du tracé des bordures végétales et des contours des planches de culture. De la sorte, l’arabesque est applicable à tous types de parterres, ce qui pourrait expliquer son succès. Par ailleurs, ce motif génère un subtil jeu de mimèsis et une plus grande unité qui favorise la transition entre l’architecture, le jardin et le paysage. Ainsi, à la fin du XVIe siècle, les premiers dispositifs horticoles apparentés aux « Parterres de Broderie » et aux « Parterres de Compartiment », définis en 1709 par Antoine-Joseph Dézallier d’Argenville, ornaient les jardins de Saint-Germain-en-Laye, des Tuileries et du Luxembourg. Olivier de Serres en a reproduit quelques exemples dans le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs (1600). En revanche, dans les territoires des princes allemands protestants, des sources témoignent d’un attachement à la tradition renaissante du jardin qui semble se prolonger durant le XVIIe siècle. En effet, des solutions ornementales semblables à celles de Daniel Loris sont visibles dans l’Architectura civilis, Architectura recreationis de Joseph Furttenbach (Augsbourg, 1640) et l’Architectura curiosa nova de Georg Andreas Böckler (Nuremberg, 1664). Selon Dorothee Nerhring, les projets de jardins de Joseph Furttenbach l’Ancien « s’adressent expressément à toutes les classes de la société, aussi bien à la noblesse qu’à la bourgeoisie » (2002, p. 156). Pour satisfaire ce parti, les figures relativement simples à mettre en œuvre et à entretenir sont préférées aux planches découpées et aux bordures taillées en Broderies. Toutefois, l’Hortus Palatinus d’Heidelberg (1620) créé par Salomon de Caus pour l’électeur palatin Frédéric V fait exception. Il s’agit d’un jardin d’un style intermédiaire, car l’architecte français utilise les arabesques et les entrelacs de concert. Ici, malgré la francophilie du mécène, les nouveautés françaises ne s’imposent pas et côtoient le motif ancien du « Parterre François » qui perdure en Allemagne. Ainsi au début du XVIIe siècle, la principauté de Montbéliard ne paraît-elle pas ouverte aux innovations françaises de l’art des jardins.
Quant aux motifs en entrelacs abstraits du Thresor, ils sont appelés « Parterres François », une appellation alors surannée qui n’est cependant pas illégitime. En effet, l’utilisation des entrelacs pour le dessin des parterres est expérimentée et généralisée en France, avant l’arabesque, dans la deuxième moitié du XVIe siècle à une époque où les modèles italiens sont déjà moins prédominants. Les premiers modèles venus d’Italie sont différents, il s’agit des « Parterres de carreaux rompus » – une des premières représentations qui nous est parvenue figure dans les Regole generali di architetura ou Quarto Libro (1537) de Sebastiano Serlio. Comme l’indique l’intitulé « Parterres Allemands », la forme en « Carreaux rompus » se diffuse à travers l’Europe au cours du XVIe siècle et les jardiniers qui se l’approprient semblent en oublier l’origine. Elle figure également dans Les plus excellents bastiments de France (1572-1579) de Jacques Androuet du Cerceau. Les « Carreaux rompus » sont donc compassés en Italie, en France et Allemagne, mais aussi en Espagne et en Angleterre, car Loris le note en exergue du premier livre du Thresor où sont réunis les ornements nommés à tort « Parterres Allemands ». De plus, il place quelques « Carreaux rompus » au début des quarante-trois entrelacs de la série des « Parterres François », probablement car les « Carreaux rompus » sont également présents dans les jardins français de la Renaissance. De fait, les appellations « Parterres François » et « Parterres Allemands » proviendraient plus du contexte biculturel de la principauté que d’une réalité stylistique.
A la fin du XVIe siècle, le « Parterre de Carreaux rompus » orne les jardins d’Europe et contribue, semble-t-il, à définir un « style international » du jardin de la Renaissance. Mais, le dessin des « Carreaux rompus » de Loris diffère tout de même des modèles de Serlio et d’Androuet du Cerceau. Les deux architectes montrent des motifs qui peuvent être inspirés par le plan centré des églises : les planches qui forment le parterre, assez simples, dessinent des carrés concentriques séparés par un réseau de passe-pieds continu, les autres solutions n’étant guère plus complexes. Daniel Loris témoigne d’un possible perfectionnement du dispositif, car au sein du parterre, certaines planches de culture « en forme de croix, de roses, de cœur &c » deviennent des sous-unités ornementales lisibles et autonomes. De la sorte, les planches contribuent à la composition d’ensemble du parterre en la structurant, tout en étant individuellement compréhensibles. Les labyrinthes forment la troisième catégorie de parterres du Thresor, le tracé le plus utilisé est celui des dédales sans bifurcations : un tracé directement hérité des pavements des églises médiévales. Pour ce motif également, persiste le goût de la Renaissance. Ainsi, au début du XVIIe siècle, malgré le talent de scientifiques et d’artistes tels que Daniel Loris, la principauté de Montbéliard subit-elle un certain enclavement culturel qui provoque le développement d’une Renaissance tardive. Le Thresor des parterres de l’Univers, qui ne mentionne pas les parterres des premiers jardins baroques, tout en compilant un nombre conséquent de propositions ornementales adaptées aux besoins d’un public germanique, est un remarquable témoignage de cette période.

Laurent Paya
(Montpellier, ARTOPOS - École Nationale Supérieure d’Architecture) - 2006

Bibliographie critique

A. Bouvard, L’architecte wurtembergeois Heinrich Schickhardt et ses travaux dans la principauté de Montbéliard, Pochette pédagogique n° 8, Archives Municipales de Montbéliard, Montbéliard, 1981.

F. Brendle, « Les enclaves territoriales et confessionnelles du duché de Wurtemberg, Montbéliard, Horbourg et Riquewihr », P. Delsalle & A. Ferrer (éd.), Les enclaves territoriales aux Temps modernes, XVIe-XVIIIe siècles, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 2000, p. 430.

D. Nehring, « Les projets de jardins de Joseph Furtembach l’Ancien », M. Mosser & G. Teyssot (éd.), Histoire des jardins de la Renaissance à aujourd’hui, Paris, Flammarion, 2002, p. 156-158.

J. Gauthier, « L’architecte wurtembergeois Heinrich Schickhardt et ses travaux dans Pays de Montbéliard », Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Besançon, 1894, p. 237-252.

L. Paya, Les parterres des jardins à compartiments en France et dans le monde (1450-1650) entre figures de pensées et ornements de verdure, Thèse de doctorat (sous la direction de Y. Pauwels), Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours,2012.

P. de Resener, Abrégé de l’histoire du pays de Montbéliard, depuis les temps primitifs jusqu’à sa réunion à la France en 1793, Montbéliard, Pétermann, 1892.

J. Vann Allen, The Making of a state : Württemberg 1593-1793, Londres/Ithaca, Cornell University Press, 1984.

 

Notice

Le Thresor des parterres de l’univers, contenant les figures et pourtraits des plus beaux Compartimens, Cabanes, et Labyrinthes des Jardinages, tant à l’Allemande qu’à la Françoise. Avec la maniere de les construire, compasser et former dextrement. Descripts en Latin, François, Allemand et Anglais et distingué en trois livres par D. Loris B. doteur et medecin ordinaire de Son Altesse de Montbeliard. – A Genève : par Estienne Gamonet, 1679.
- [28] - 200 pages de planches gravées sur bois : lettrines ; 21,5 x 16 cm. Un caractère typographique spécifique distingue les langues de chaque texte : romain pour le latin, italique pour le français, gothique de chancellerie pour l’allemand, romain de plus petit caractère pour l’anglais. Divisé en trois livres: « Premier livre du thresor des parterres allemands ». « Second livre du thresor des parterres françois » ; « Livre troisiesme des labyrinthes ». L’introduction répétée en quatre langues précède les Livres de planches.
Berlin Katalog 3440.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 524.
*Notes :
- Demie-reliure de maroquin vert du XIXe siècle, signée Thompson St-Lazare 106.
- Don de la veuve de Joseph Le Soufaché, 1889.
- Ex-libris gravé de Joseph Le Soufaché gravé collé au contreplat supérieur.