LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Serlio, Sebastiano
Martin, Jean
Titre Le premier livre d’architecture... Le second livre de perspective...
Adresse Paris, J. Barbé, 1545
Localisation Paris, Ensba, Les 1736
Mots matière Géométrie, Perspective
Transcription du texte

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     Les Livres I et II de la Géométrie et de la Perspective de Sebastiano Serlio ne sont pas des œuvres autonomes mais font partie du projet plus vaste d’un traité d’architecture divisé en plusieurs livres qui furent publiés indépendamment de leur ordre dans diverses villes européennes entre 1537 et 1551. Ils sont les troisièmes de la série après le Livre IV sur les ordres (1537) et le Livre III sur les antiques (1540) ; ils furent publiés à Paris en 1545 par Jean Barbé dans une édition bilingue richement illustrée de 132 gravures sur bois, dont 24 en pleine page. Les deux livres s’adressent expressément à des lecteurs très peu nombreux, architectes habiles à dessiner avec la règle, l’équerre et le compas, experts en géométrie, en mesure de reproduire les diagrammes, de mettre à profit l’expérience graphique en l’appliquant à la résolution des problèmes susceptibles de se présenter dans l’activité professionnelle.
Le livre de la Géométrie s’ouvre avec les définitions du point, de la ligne et de la surface, tirées des Éléments d’Euclide, suivies par celles de l’angle, du polygone régulier et irrégulier. La partie suivante est consacrée à l’apprentissage par l’architecte des façons d’augmenter, diminuer et diviser proportionnellement les figures polygonales, et en particulier la méthode pour « réduire une forme imparfaite à son entier, même a la valeur qu’elle avait étant imparfaite, & en sa première forme » – c’est-à-dire réduire un polygone irrégulier en quadrangle sans en modifier la dimension ; elle enseigne enfin la manière de rapporter les choses de petit en grand, « en gardant bonne proportion, accroître toutes choses de son entreprise » (f. 5 v°). La contribution la plus intéressante de ce livre est la partie consacrée aux lignes courbes. On voit par exemple la façon de dessiner un arc dont la hauteur est inférieure à un demi-cercle. Les arcs de ce type réalisés par les maçons sans doute « correspondent à la vue » ou au dessin de la même courbure faite avec le compas, mais la méthode proposée par Serlio, non moins « pratique » que celle des maçons, est exécutée au compas et de ce fait digne du métier d’architecte (f. 13 v°). Dans ce cas, comme dans celui des formes « ovales » illustrées un peu plus loin dans le traité, Serlio représente le degré de culture auquel étaient parvenus les architectes avant les études que Federico Commandino engagera peu après sur les sources antiques, réactualisant les connaissances des Anciens sur les courbes circulaires, les sections coniques et les autres types de courbes. Le Livre I de Serlio ne traite pas vraiment de géométrie pure mais plutôt de la géométrie appliquée à la solution des problèmes qu’un architecte peut rencontrer dans le dessin de son projet. En ce sens ce livre a un lien heuristique évident avec le livre suivant sur la perspective. Serlio définit lui-même la géométrie comme  l’étude  des figures faites d’« intersections variées de lignes ». Si dans le Livre I le traitement des « intersecazioni » survient pour les polygones en plan, dans le Livre II tout se joue en perspective ; mais la modalité, le goût de retailler, diminuer et augmenter la figure géométrique reste le même. Et c’est ici l’occasion de rappeler qu’« intersecazioni » est le terme utilisé par Alberti dans le De pictura pour définir sa méthode perspective. L’unique passage où Serlio fait explicitement référence à la règle optique de la perspective se trouve dans le Livre I, et non dans le Livre II : « il fera préalablement élection de la distance commode a bien spéculer son œuvre. Puis ira faire une marque a l’encontre, droit de la hauteur de son œil, & cette marque lui servira de centre » (f. 9v°). Un peu plus haut, Serlio évoque Léonard : « Tant plus les choses matérielles s’éloignent de notre vue, plus semblent elles diminuer, a raison de la spaciosité de l’air qui consume notre vertu visive » (ibid.).
Le second livre sur la perspective est à son tour divisé en trois petits traités : le premier consacré à la perspective du plan, le second à celle des corps, le troisième à la perspective « matérielle » de la scénographie. Serlio déclare vouloir garder profil bas et organise le traité par thèmes qu’il développe en « leçons » de complexité croissante. L’objectif est d’enseigner le strict nécessaire pour permettre de dessiner en perspective une idée architectonique. En fait, l’auteur ne semble pas très enthousiaste à l’idée d’écrire sur le sujet. Il retient que la perspective est un art « merveilleusement difficile à traiter en écriture, principalement ou il est question des corps relevés sur le plan, & qu’il se puisse mieux enseigner de vive voix, que par doctrine ou aucun portrait » (f. 25v°). Aussi affirme-t-il : « je prendrai peine sous la plus brève tradition que je pourrai, d’en donner tant de lumière a l’Architecte que cela devra suffire au besoin qu’il en pourrait avoir » (ibid.) ; et un peu plus loin dans le traité il ajoute : « & si bien je ne contente au dernier point ceux qui se délectent de voir plusieurs choses, & veulent pénétrer jusques au profond des sciences, pour le moins je pourrai donner aucun secours à ceux qui n’entendent que peu ou rien en cette Architecture, car mon intention ne fut jamais autre » (f. 39v°). Ce n’est pas là une simple formule de rhétorique, mais bien l’expression de la conscience de ses propres limites, ou la volonté de favoriser l’intelligibilité des opérations et des concepts nécessaires à une activité utile en évitant des développements qui ennuieraient aussi bien l’auteur que le lecteur.
Le Livre II n’a pas valu à son auteur une bonne réputation de théoricien en ce domaine, au contraire. Egnazio Danti est conscient que l’explication donnée par Serlio pour la seconde méthode est erronée, même s’il juge que l’erreur est due à une coquille typographique (1583, p. 82). Au XIXe siècle, N. G. Poudra a montré que la première méthode est elle aussi erronée, plus précisément dans sa seconde partie (1864, p. 147-152). Aujourd’hui, l’évaluation critique n’est pas meilleure : Martin Kemp (1994, p. 78) exécute l’incompétence de Serlio en perspective et s’étonne de ce que ses dessins fonctionnent bien, alors que sa première méthode est « tout bonnement fausse » et que dans la seconde fondée sur le « point de distance », la distance donnée est erronée. Mais si on laisse de côté les erreurs de l’auteur et si on lit tout le traité, on s’aperçoit que Serlio applique correctement sa seconde méthode. Son commentaire en italien ambigu sur la première méthode (« La regola che ho dato qui sopra, e probabile, & bonissima... », f. 27), n’aide pas à se former une bonne idée de ses compétences en matière de théoricien de la perspective. De fait une règle dans le domaine de la perspective établit un précepte et implique des résultats certains, sinon ce n’est pas une règle. Étrangement pour Serlio cette  règle est  seulement « probable », c’est-à-dire digne de foi, mais pas certaine, comme si elle ne garantissait pas des résultats constants.
La méthode pour dessiner un corps solide en perspective est très sommaire : on dessine d’abord le plan en raccourci et ensuite on reporte la même figure à la hauteur souhaitée en l’adaptant en fonction du même point de fuite principal. On relie alors les angles des deux figures : « Ce faisant, il donnera forme convenable au corps octogone transparent, comme la figure ci dessous le démontre & enseigne » (f. 35v°). Les « corps transparents » renvoient au traité de perspective de Piero della Francesca, où les solides sont dessinés sous forme de « corps transparents », et aux corps réguliers sous forme solide ou vide que Léonard de Vinci a réalisés pour le De divina proportione de Luca Pacioli, qui contient, comme on le sait un plagiat du Libellus de quinque corporibus regolaribus de Piero della Francesca.
Le procédé utilisé pour distribuer les architectures dans l’espace perspectif, que Serlio appelle la voie « du plant », consiste en une méthode qui, à cause des propriétés proportionnelles d’un damier en perspective, permet de définir correctement les élévations en effectuant un simple travail au compas. Serlio tire la voie « du plan » du passage du De pictura dans lequel Alberti enseigne comment élever les édifices sur un dallage en raccourci en les proportionnant au plan et à la hauteur du point de fuite principal (II, § 33).
De la seule lecture du Livre II on déduit donc que Serlio connaît les traités de Leon Battista Alberti, Piero della Francesca, Leonard de Vinci, Jean Pélerin et Albrecht Dürer. Toutefois puisque Serlio fut l’élève et le collaborateur de Baldassare Peruzzi, et que lui-même reconnaît devoir beaucoup à la générosité avec laquelle Peruzzi lui a fait partager ses propres connaissances, on peut supposer qu’il a appris la perspective de la bouche même du maître, dans le contexte du grand chantier de Saint-Pierre de Rome, où les problèmes posés par la représentation architectonique étaient au cœur des débats, où était connu le traité d’Alberti sur la peinture, et où la présence même de Bramante garantissait un lien avec Piero della Francesca. Ce n’est que plus tard, durant son séjour en France, que Serlio eut la possibilité de consulter la copie du traité de Léonard de Vinci que possédait Benvenuto Cellini. Les traités imprimés de Pélerin, Dürer et d’Alberti étaient disponibles en France à l’époque où Serlio écrivait, et il est quasi certain qu’ils étaient sur sa table de travail.
Le Livre II se conclut par une brève partie consacrée aux perspectives matérielles de scènes. Ce petit traité s’ouvre avec le dessin « de profil » et en plan d’un théâtre, suivi de la description des trois types de scènes (comique, tragique et satirique) illustrées de gravures devenues fameuses. Dans ce cas encore, Serlio s’intéresse moins à fournir une théorie générale qu’à faire la démonstration d’une méthode qu’il a utilisée en 1539 pour le projet de théâtre en bois du palais da Porto à Vicence ; « cela me succeda si bien », dit-il, « que du depuis quand c’est venu à faire telles entreprises j’ai toujours suivi cette voie, laquelle je conseille tenir tous ceux qui se délecteront de choses semblables » (f. 65).
Serlio affirme que « l’horizon des scènes » ne doit pas être tracé de la même manière que dans la perspective dessinée, parce que « le moyen que je tiendrai pour la déclarer [est] contraire aux règles passées qui ne servent que pour plate peinture, & que cette ci est pour les choses de relief. Il est bien raisonnable de tenir autre voie » (f. 65). En pratique, il suggère de déterminer deux distances d’observation différentes : une pour le raccourci du niveau de la scène, du décor de fond et pour le raccourci des coulisses peintes en « majesté », et une autre, à la même hauteur mais plus éloignée, pour des coulisses peintes mises en oblique : « Et à la vérité il est bien raisonnable si les édifices ont deux faces regardantes sur deux côtés, que semblablement ils aient deux horizons » (f. 63v°). Le ton du texte traduit bien le plaisir que prend Serlio à s’occuper de la scène théâtrale ; les explications qu’il donne pour obtenir des lumières colorées et d’autres détails démontrent qu’il était vraiment bien au courant de la pratique de la mise en scène. Du reste la description des parties de la scène et des structures théâtrales réservées au public est peut-être la plus précise qui nous soit parvenue du XVIe siècle.

Pietro Roccasecca (Accademia di Belle Arti, Rome) – 2005

 

Bibliographie critique

M. Carpo, « Jean Martin, traducteur de Serlio, 1545-1547 », « Le Primo Libro traduit par Jean Martin (Paris, Jean Barbé, 1545), édition bilingue », « Le Secundo Libro traduit par Jean Martin (Paris, Jean Barbé, 1545), édition bilingue », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire Active, 2004, p. 131-132, 133, 135.

E. Danti, Le due regole della prospettiva pratica di [...] Vignola, con i Comentarij [...] Roma, Per Francesco Zanetti M.D.L.XXXIII, Bologne, Cassa di Risparmio di Vignola, 1974.

S. Frommel, « Sebastiano Serlio Prospettico. Stages in his Artistic Itinerary during the 1520s », F. Lemerle & M. Carpo (éd.), Perspective, Projections & Design. Technologies of architectural Representations, Londres/New York, Routledge, 2008, p. 77-94.

M. Kemp, La scienza dell’arte. Prospettiva e percezione visiva de Brunelleschi e Seurat, Florence, Giunti Editore, 1994, p. 78 (1ère éd. : New Haven/Londres, Yale UP, 1990).

J.-P. Le Goff, « Études sur le Livre II du Trattato di Architettura de Sebastiano Serlio (1475-1554) : Il secondo Libro. Di Prospettiva (1545) », Routes du livre italien, publication en ligne sur le site de la Maison de la Recherche en Sciences humaines de Caen Basse-Normandie (2009).

N. G. Poudra, Histoire de la Perspective ancienne et moderne..., Paris, Corréard, 1864.

L. Pacioli, De divina proportione, introduction par A. Marinoni, Fontes ambrosiani in lucem editi cura et studio Bibliothecæ Ambrosianæ, 72, Milan, Silvana, 1982.

P. Roccasecca, « Sebastiano Serlio : la pratique de la perspective au service de l’architecte », F. Lemerle & M. Carpo (éd.), Perspective, Projection, Projet. Techniques de la représentation architecturale, Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, 17, 2005, p. 61-70 (trad. angl. : Londres/New York, Routledge, 2008, p. 95-104).

M. N. Rosenfeld, « From Bologna to Venice and Paris : The Evolution and Publication of Sebastiano Serlio’s Books I and II, On Geometry and On Perspective, for Architects », L. Massey (éd.), The Treatise on Perspective : Published and Unpublished, Studies in the History of Art Series, 59, Center for Advanced Study in the Visual Arts, Symposium Papers XXXVI, National Gallery of Art, Washington, 2003, p. 281-321.

M. Vène, Bibliographia Serliana. Catalogue des éditions imprimées des livres du traité d’architecture de Sebastiano Serlio (1537-1681), Paris, Picard, 2007.

 

 

 

Notice

Il primo libro d’Architettura, di Sabastiano Serlio, Bolognese. = Le premier livre d’Architecture de Sebastian Serlio, Bolognois, mis en langue francoyse par Iehan Martin, secretaire de monseigneur le Reuerendissime Cardinal de Lenoncourt. - A Paris : s.n., 1545.
[8] - 76 p. (p. 18 paginée 20 par erreur, et 1 f. non paginé après la p. 67). Signatures : aa4 a8 - i8 (dont b3 signée a3) [l2] : ill. ; 37 cm.
Comprend aussi le 2e livre. Titre du 2e livre : Il Secondo libro di perspettiva di Sebastiano Serlio Bolognese = Le Second livre de perspective, de Sebastian Serlio Bolognois, mis en langue francoise par Iehan Martin, Secretaire de monseigneur reverendissime cardinal de Lenoncourt. L’adresse porte : « Avec privilege du Roy, pour dix ans audict Sebastian, son architecte de Fontainebleau ».
Berlin Katalog 2557 ; Fowler 303.
Le dernier feuillet porte au verso : « De l’imprimerie de Iehan Barbé le vingtdeuxiesme iour d’Aoust. M.D. quarante cinq. », avec la marque de l’imprimeur.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 1736.
*Notes :
- L’exemplaire comprend aussi les livres suivants reliés à la suite dans le désordre.
- Reliure de parchemin.
- Ex-libris sur page de titre : « Bibliothecae mon[asteri]i Montis S. Eligii ; Pierre Loliviet, par dons faict du prieur de Marchiennes » (fin XVIe siècle) ; « M. Lebrun architecte a Orleans » (XVIIIe siècle).
- Comprend aussi une longue mention datée 1583.
- Legs de Joseph Le Soufaché à l’École des Beaux-Arts, 1890.