LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s)

Scamozzi,Vincenzo
Aviler, Augustin-Charles d’

Titre Les cinq ordres d’architecture...
Adresse Paris, J.-B. Coignard, 1685
Localisation Paris, Ensba, Les 1726
Mots matière Ordres
Transcription du texte

English

     Le livre VI sur les ordres occupe la moitié de seconde partie de l’Idea della architettura universale qui regroupe les livres 6-8 (172 pages sur 370, index exceptés) : c’est dire son importance aux yeux de son auteur, Vincenzo Scamozzi. De fait c’est le livre qui a été le plus traduit. Comme le précise Augustin-Charles d’Aviler dans la préface de la traduction française : « il est la matière dont l’usage a plus d’étendue & qui est la plus pratiquée par les architectes ». La version française est toutefois relativement tardive car dès 1640, Dancker Danckerts avait publié à Amsterdam la première traduction hollandaise (rééditée en 1658 et 1661). Une version française s’imposait d’autant plus que Scamozzi demeurait le seul « des trois architectes qui tiennent le premier rang pour la doctrine des ordres entre les modernes » à n’avoir pas été encore traduit en français (Préface). Vignole l’avait été dès 1631-32 par Pierre Le Muet, Palladio par le même Le Muet en 1645 pour le livre I, en 1650 par Roland Fréart de Chambray pour l’ensemble du traité. Toutefois la publication de 1685 n’est pas la première édition de Scamozzi. En 1646, Jean Boisseau avait publié un opuscule avec les ordres du Vicentin tiré du livre VI et une brève anthologie de plans et élévations de palais et villas empruntées au livre III.
La publication de 1685 ne propose pas une traduction intégrale, mais une version légèrement abrégée : elle est débarrassée de tout ce qui ne relève pas de l’architecture (histoires, fables, considérations géographiques, physiques et morales), car elle est plus destinée aux « ouvriers, qui regardent plus les figures que les discours, que pour ceux qui ne s’attachent qu’à la théorie » (Préface). Scamozzi est un auteur trop prolixe pour être édité tel quel : Fréart l’avait en son temps traité de « grand parleur » dans son Parallèle (1650). L’édition n’en est pas moins fidèle : la lettre du texte a été respectée, le traducteur n’ayant pas cherché à « en extraire seulement le sens, & faire d’autres discours » – allusion sans doute au traitement que Le Muet avait réservé au livre I de Palladio (1645). L’ouvrage débute par la planche des cinq ordres et l’« Épître » de d’Aviler à Jules Hardouin-Mansart, premier architecte et intendant des bâtiments du roi. Suivent sa préface, la table des matières et la traduction des mots italiens gravés sur les planches. Se succèdent alors les 35 chapitres avec les illustrations originales. Seuls quelques chiffres ont été changés.
L’intérêt de cette édition est de reproduire les planches originales (Préface), comme Fréart avait eu aussi la chance « inespérée » de le faire en son temps pour le traité de Palladio (1650). La planche de l’entablement corinthien qui aurait dû clore le chapitre 33 varie selon les exemplaires (elle figure en tête dans celui de l’Ensba ou dans le chapitre II après la p. 4 dans d’autres). Elle a sans doute été oubliée à l’origine : le chapitre 33 enchaînant directement sur le chapitre suivant sur la même page, il n’a plus été possible de l’inclure, d’où son statut de feuille volante. La planche de l’arcade ionique sans piédestal qui figure deux fois dans l’édition italienne de 1615 a été supprimée.
La publication a toujours été attribuée à d’Aviler (Verdier 2003, p. 120). Or si ce dernier signe l’« Épître » et la préface, il faut souligner qu’il ne s’attribue jamais la traduction : « je m’estime heureux, écrit-il à Jules Hardouin-Mansart, que vous m’ayez permis de vous présenter cette traduction ». Et d’après l’extrait du privilège, c’est à l’imprimeur et libraire Jean-Baptiste Coignard qu’est accordée l’autorisation « d’imprimer, [de] vendre & débiter » l’Idée de l’architecture universelle de Vincent Scamozzi » pendant douze ans. Point de mention du traducteur, masqué sous l’impersonnel « on » : « On a jugé de donner au public », « la rencontre qu’on a faite des planches originales », « on a cru que nos architectes n’auraient pas désagréable de voir traduit en français celui qui leur manquait des trois architectes qui tiennent le premier rang pour la doctrine des ordres entre les modernes », « on a suivi l’auteur mot à mot » (Préface). Or en 1673 François Blondel dans son édition annotée de Savot fait allusion à la traduction du sixième livre « à part » et précise de fait que l’on travaille à la traduction du tout (p. 347). Et dans la seconde édition en 1685, il affirme avoir traduit lui-même les troisième et sixième livres « qui sont prêts à être donnés au public » (1685, p. 348, note b). Or c’est précisément cette année-là, le 1er octobre, que parut la traduction du livre VI. D’Aviler, qui avait été l’un des tout premiers élèves de l’Académie, pourrait avoir eu la charge d’éditer le travail de son maître Blondel, qui disparut quelques mois après, le 21 janvier 1686. Mais alors pourquoi taire le nom de ce dernier ? Le changement d’équipe est sans doute une explication : la mort inopinée de Colbert le 6 septembre 1683 avait eu pour conséquence la nomination à la surintendance des bâtiments de son ennemi Louvois. Son proche collaborateur, Charles Perrault, avait dû se démettre de sa charge de contrôleur général au profit de Michel Hardouin-Mansart, tandis que Jules, premier architecte et intendant général des bâtiments du roi, avait vu son ascension sociale couronnée par l’octroi de lettres de noblesse en 1682. L’imprimeur du roi a sans doute jugé prudent de placer sa nouvelle publication sous le patronage du puissant Hardouin-Mansart, favori du roi et de la Cour. Dans la dédicace d’Aviler, longtemps en mal de commande, témoignait sa gratitude à Mansart qui l’avait engagé en octobre 1684 comme dessinateur dans l’Agence des bâtiments du roi. L’effacement sans doute de Blondel à la mort duquel Robert de Cotte, le propre beau-frère de Mansart, prit la direction de l’Académie royale d’architecture, marquait irrémédiablement la fin d’une époque.
La traduction de Scamozzi s’inscrit dans le cadre des publications prestigieuses soutenues par le pouvoir, les Vitruve de Claude Perrault (1673, 1684) et son Abrégé (1674), son Ordonnance des cinq especes de colonnes selon la methode des Anciens (1683), les Principes de l’architecture, de la sculpture et de la peinture d’André Félibien (1676), les Édifices antiques de Rome d’Antoine Desgodets (1682). Le traité de Scamozzi avait l’attrait d’être plus récent que ceux de ses aînés, Vignole et Palladio ; il avait surtout aux yeux des « classiques » le mérite de fonder son architecture « sur les raisons les plus vraisemblables de la nature, sur la doctrine de Vitruve, & sur les exemples des plus excellents édifices de l’antiquité » (Préface), malgré « la réputation d’avoir une manière sèche qui provient de la quantité des moulures qui entrent dans ses profils » (abondance de moulures rondes, manque de variété dans leur disposition), ce qu’avaient déjà souligné Fréart de Chambray dans le Parallèle et François Blondel dans son Cours d’architecture. Blondel, en bon mathématicien, avait pointé la confusion des mesures, mais selon d’Aviler il suffit d’avoir en tête les deux systèmes utilisés par Scamozzi : le module ou diamètre de la colonne divisé en 60 parties pour le général et le dénominateur commun pour le détail des moulures et leurs saillies qui est tiré d’un membre particulier pour être subdivisé ou multiplié. N’en déplaise à d’Aviler on est loin de l’efficacité vignolesque. Du reste cette publication n’eut pas le succès du Cours d’architecture qu’il publia quelques années plus tard.

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2014

Bibliographie critique

J. Randon de Grolier, A.-C. d’Aviler, Mémoire de l’École du Louvre, 1963.

F. Lemerle, « Le XVIIe siècle français et l’Idea dell’architettura universale (1615) de Vincenzo Scamozzi », Revue de l’art, 188, 2015-2, p. 49-55.

F. Lemerle & Y. Pauwels, Architectures de papier. La France et l’Europe, suivi d’une bibliographie des livres d’architecture (XVIe-XVIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p. 88-89, 110-112.

T. Verdier, Augustin-Charles d’Aviler architecte du roi en Languedoc 1653-1701, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2003.

 

 

 

Notice

Les Cinq ordres d’architecture de Vincent Scamozzi, Vicentin, architecte de la République de Venise, tirez du sixiéme livre de son Idée générale d’architecture : avec les planches originales. Par Augustin-Charles d’Aviler, architecte. - A Paris : chez Jean-Baptiste Coignard, 1685.
[9 ff.], 143 pages : bandeaux, figures gravés sur cuivre, in-folio
Les pièces liminaires comprennent en plus du titre, une planche de l’ordre corinthien, une planche des cinq ordres, la dédicace à Jules Hardouin-Mansart, la préface, la table des chapitres, la traduction des mots italiens qui sont gravés sur les planches originales et l’extrait du privilège de douze ans accordé à Jean-Baptiste Coignard.
Incomplet du titre-frontispice qu’on trouve dans les exemplaires de l’Avery Library et de la Bibliothèque du Congrès, mais qui manque à d’autres. On trouve reliés à la suite trois traités d’Abraham Bosse.
Cicognara 654 ; Fowler 299 ; Mark M. Millard collection, French books, 151.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 1726.
*Notes :
- Reliure de veau raciné du XVIIIe siècle, 38 x 26,5 x 3,3 cm, tranches rouges, gardes de papier au motif du grand tourniquet.
- Donation de la veuve de l’architecte Joseph Lesoufaché à l’École nationale des Beaux-Arts, 1889.