LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Bullant, Jean
Titre Reigle generalle d’architecture...
Adresse Paris, J. Marnef & G. Cavellat, 1564
Localisation Paris, Ensba, Les 1537
Mots matière Antiquités, Ordres

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     La Reigle publiée par Jean Bullant pour la première fois en 1564 est un bref traité consacré uniquement aux ordres d’architecture, de même que la Regola de Vignole qui vient de paraître à Rome en 1562. Comme dans le traité italien, l’image est prépondérante : tel qu’il apparaît dans cette première édition, le texte de la Reigle est presque entièrement emprunté aux deux traductions de Jean Martin, celle de Vitruve (1547), qui fournit l’introduction, et celle d’Alberti (1553) qui constitue l’essentiel du texte (les passages de la plume de l’auteur sont en italique dans la transcription du texte). Ces emprunts sont clairement avoués dans l’adresse au lecteur.
L’originalité du traité réside donc principalement dans les illustrations, présentées de façon très méthodique, suivant la succession désormais canonique des cinq ordres, les modèles théoriques alternant avec les exemples antiques. Ce discours en images est du reste totalement indépendant du texte, et il n’y a pas de correspondance entre eux, ni dans les formes ni dans la logique démonstrative. Car Alberti, on le sait, procède de manière analytique, décrivant successivement les diverses parties de l’ordre, colonne, base, chapiteau et entablement ; en revanche, Bullant, en fidèle élève de Serlio, suit la démarche du Bolonais en étudiant de façon plus synthétique les cinq ordres les uns après les autres.
Serlio impose donc la méthode, mais aussi la morphologie. Les modèles théoriques proposés par Bullant sont à peu de choses près ceux du Quarto libro. Mais le Français opère avec une rigueur nouvelle. La sélection qu’il opère s’intègre dans une logique propre à la conception même de son ouvrage, conçu comme une « règle », et ordonné comme tel. Un exemple théorique toscan – l’exorde – introduit un développement en trois points : dorique, ionique et corinthien, avec pour chacun de ces ordres deux modèles abstraits, deux exemples archéologiques et une porte. Un modèle composite et le relevé de l’ordre de l’arc de Titus fournissent à l’exposé sa péroraison. Les modèles de Serlio sont toutefois modernisés. Bullant reprend le principe de la volute à douze centres du Vitruve de Barbaro (Venise, 1556), qu’il cite avec respect ; une logique imperturbable répartit systématiquement les variantes de détail entre les deux modèles (par exemple, pour l’ionique, base attique ou base ionique, volute serlienne ou volute à douze centres, corniche à denticule ou corniche à modillons).
Bullant innove aussi en utilisant un système de représentation purement géométrique, inspiré par le traité de Hans Blum, Quinque columnarum exacta descriptio atque delineatio cum symmetrica earum distributione (Zurich, 1550), qu’il a dû connaître par le biais de la traduction française publiée à Anvers en 1551 sous le titre Les cincq coulomnes de l’architecture par Hans Liefrinck. La parenté entre les deux ouvrages est signalée par la page de titre : la Reigle y est proposée « au prouffit de tous ouvriers besongnans au compas & à l’esquierre », ce qui évoque précisément celle de l’édition française de Blum, « Au service & prouffit des painctres, massons, tailleurs de pierre, orfevres, tailleurs, d’images, menuisiers, charpentiers, & d’aultres ouvries besongnans au compas & a l’equierre ». Par ailleurs, Bullant a une façon très particulière de traiter les cannelures des colonnes, en plaçant systématiquement une arête dans l’axe du chapiteau. Une telle disposition, très rare, est présente dans toutes les planches de Blum, qui sans aucun doute a donné l’exemple.
Le système de Blum, fondé sur des cercles, demi-cercles ou règles graduées, permet de comprendre les proportions et les rapports des parties entre elles sans avoir recours au texte – ce qui était encore nécessaire dans le traité de Serlio. Auteur d’un traité de géométrie d’une certaine force, disciple d’Oronce Fine, Bullant ne pouvait qu’être sensible à l’efficacité de la démonstration graphique telle que l’Allemand la pratiquait.
Quant aux exemples antiques, ils peuvent avoir été relevés par Bullant lors d’un voyage à Rome que l’on peut imaginer d’après le texte de la dédicace au maréchal de Montmorency. Mais ses sources peuvent être aussi livresques. Bullant s’en tient en effet aux grands classiques, que l’on peut trouver dans la plupart des recueils de dessins contemporains ou dans le Terzo libro de Serlio : le dorique du théâtre de Marcellus, les ioniques de ce même théâtre et du temple de Portumnus, connu à la Renaissance comme temple « de la Fortune Virile », les corinthiens du Panthéon et du temple des Dioscures, le composite de l’arc de Titus. Une seule rareté : un dorique prétendu antique, dont Bullant précisera dans l’édition de 1568 qu’il provient « d’un arc triomphal, qui se voit à présent à vingt-sept milles de Rome ». Mais aucun autre traité ne reproduit ses profils assez originaux, et son authenticité semble douteuse, dans la mesure où la frise est littéralement copiée d’une planche de Barbaro.
L’exemplaire de l’Ensba proposé à la consultation est exceptionnel, car il a été augmenté de planches sur cuivre datées de 1564 et 1566, prévues probablement par Bullant pour agrémenter la seconde édition considérablement augmentée de la Reigle publiée en 1568. Curieusement, aucun des exemplaires de cette dernière édition que nous avons pu consulter n’avait conservé ces estampes, qui n’apparaissent que sous la forme de feuilles isolées et, dans le cas de la grande estampe représentant les cinq ordres, uniquement dans le présent exemplaire.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2006

 

Bibliographie critique

F.-C. James, Jean Bullant. Recherches sur l’architecture française au XVIème siècle, thèse de l’École nationale des Chartes, 1968. Résumé dans École nationale des Chartes, Positions de thèses, 1968, p. 101-109.

V. Hoffmann, « Artisti francesi a Roma : Philibert Delorme e Jean Bullant », Colloqui Sodalizio, 4, 1973-1974, p. 8-18.

A. Linzeler & J. Adhémar, Inventaire du fonds français. Graveurs du seizième siècle, Paris, Bibliothèque nationale, 1932, 1, p. 208-209.

Y. Pauwels, « Les antiques romains dans les traités de Philibert De L’Orme et Jean Bullant », Mélanges de l’École française de Rome-Italie et Méditerranée, 106, 1994-2, p. 531-547.

Y. Pauwels, « Jean Bullant et le langage des ordres : les audaces d’un timide », Gazette des Beaux-Arts, 129, février 1997, p. 85-100.

Y. Pauwels, « Leon Battista Alberti et les théoriciens français du XVIe siècle : le traité de Jean Bullant », Albertiana, 2, 1999, p. 101-114.

Y. Pauwels, L’architecture au temps de la Pléiade, Paris, Monfort, 2002.

Y. Pauwels, « Serlio et le vitruvianisme français de la Renaissance : Goujon, Bullant, De l’Orme », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire Active, 2004, p. 410-417.

Y. Pauwels, « La Reigle generalle d’Architecture de Jean Bullant à Paris en 1564 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire Active, 2004, p. 438-439.

Y. Pauwels, « La fortune de la Reigle de Jean Bullant », Journal de la Renaissance, 3, 2005, p. 111-119.

Y. Pauwels, « Hans Blum et les Français, 1550-1650 », Scholion. Mitteilungsblatt der Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, 6, 2010, pp. 77-88.


 

 

Notice

Reigle generalle d’architecture des cinq manieres de colonnes, à sçavoir : tuscane, dorique, ionique, corinthe et composite, à l’exemple de l’antique suivant les reigles et doctrine de Vitruue. Au prouffit de tous ouuriers besongnans au compas et a l’esquierre. A Escouën, par Iean Bullant. - A Paris : De l’imprimerie de Hierosme de Marnef, et Guillaume Cavellat, au mont S. Hilaire, a l’enseigne du Pelican, 1564. - [24] f., [6] f. de pl. gr. s. c. (dont 1 dépl.) (sig. A-F4 G1) : ill. ; 42,3 x 28 cm.
Sur la page de titre : « Avec privilege du Roy ».
Berlin Katalog 2363 ; Harvard Catalog I, 121 ; Renouard p. 186-187, n° 207.
Signature : B3 signée A3. Planches gravées sur métal rajoutées : 1 pl. double insérée entre f. sig. D2 et D3, datée de 1564 ; 2 f. de pl. dont 1 dépl., insérées entre f. sig. F2 et F3 ; 1 pl. double rajoutée en fin de volume et datée de 1566.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 1537.
*Notes :
- L’exemplaire comprend les quatre planches doubles gravées sur cuivre, qui ne sont commentées que dans l’édition de 1568, montées au milieu de deux cahiers et à la fin. La première est datée « 1564 », la deuxième « 1566 ».
- Reliure de parchemin avec un fleuron encadré estampé à chaud sur le plat supérieur.
- Legs de Joseph Le Soufaché à l’École des Beaux-Arts, 1890.