LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Jousse, Mathurin
Titre Le theatre de l’art de charpentier...
Adresse La Flèche, G. Griveau, 1627
Localisation Paris, Ensba, Les 1250
Mots matière Charpenterie, Ordres

English

     Mathurin Jousse est essentiellement connu pour avoir rédigé, entre 1627 et 1642, trois traités de construction consacrés à la serrurerie, la charpente et la stéréotomie, La fidelle ouverture de l’art de serrurier, Le theatre de l’art de charpentier et Le secret d’architecture. Ces ouvrages figurent parmi les premiers du genre en France et pourtant, leur auteur a longtemps pâti d’une méconnaissance quasi complète de ce qui concerne sa vie et ses activités réelles. On l’a notamment longtemps confondu avec son fils (1607-1671), comme lui prénommé Mathurin et maître orfèvre à La Flèche, ce qui a eu, entre autres, pour conséquence d’en faire un auteur singulièrement précoce. En réalité, Jousse est né vers 1575 et semble avoir passé la majeure partie de sa vie - à tout le moins depuis les années 1600 - à La Flèche, petite ville aux confins du Maine et de l’Anjou, où il est mort et enterré en 1645 à l’âge de « soixante et dix ans ».
Ses traités et les compétences multiples que ces derniers lui supposent, ont beaucoup contribué à lui forger une renommée d’architecte chevronné, à qui l’on n’a pas manqué d’attribuer les constructions les plus remarquables de la région. La réalité est plus ordinaire : Mathurin Jousse était tout simplement maître serrurier de son état, une activité qui a tout de même fourni la matière de l’un de ses traités. Cette habileté professionnelle est confirmée par son inventaire après décès, dans lequel sont mentionnés les nombreux instruments scientifiques que Jousse confectionnait à l’usage du célèbre Collège Royal des Jésuites, établi à La Flèche en 1604. Jousse était aussi graveur : non seulement il était l’auteur des planches qu’il publiait, mais encore il fabriquait le matériel nécessaire à la production des estampes, son inventaire après décès en faisant, ici encore, largement foi.
Ses activités professionnelles avaient conduit Jousse à entreprendre, en 1621, quelques travaux de serrurerie dans le collège des Jésuites, dont la construction s’était prolongée pendant toute la première moitié du XVIIe siècle. Ces circonstances particulières lui ont probablement permis d’entrer en contact avec quelques-uns des maîtres d’œuvre qui ont dirigé ce chantier hors du commun. Ses liens avec le frère Étienne Martellange, le principal architecte du collège - sa présence à La Flèche est confirmée en 1612 et 1614, ce qui n’exclut pas d’autres séjours -, sont formellement attestés. Jousse avait en effet été chargé de graver les illustrations d’une traduction de la Perspective positive de Viator publiée par l’architecte jésuite en 1626. Il avait d’ailleurs entrepris, seul, une réédition de cet ouvrage en 1635.
Des contacts entre Jousse et un autre architecte jésuite, le Père François Derand, sont plus que probables, bien qu’ils ne soient pas formellement confirmés. Ce dernier a en effet fréquenté le collège de La Flèche, tout d’abord comme élève en 1613-1615, puis comme professeur en 1618-1621, alors qu’il enseignait les mathématiques. La tentation est grande de l’imaginer utilisant les instruments scientifiques de Jousse, voire de lui fournir les directives pour la fabrication de certains d’entre eux. Mais les rapports entre Derand et le collège de La Flèche ne se limitent sans doute pas à ces deux séjours. Récemment découvertes, des archives le révèlent comme le principal auteur du retable du maître-autel, dans la chapelle de l’établissement, dont l’exécution avait été confiée à l’architecte lavallois Pierre Corbineau entre 1633 et 1636. Cet ouvrage avait précédé de peu la construction en 1637-1640 de la tribune d’orgues, dans la même chapelle, dont la mise en œuvre paraît avoir été, elle aussi, très liée à la personnalité de cet architecte.
Mathurin Jousse semble également avoir été un témoin privilégié de la construction du collège qui, à bien des égards, a fait figure de chantier d’avant-garde. En 1626, Le théâtre de l’art de charpentier en fait foi alors que la planche CVIII représente une charpente d’église très proche, à quelques détails près, de la charpente de la chapelle des Jésuites, achevée en 1621. Et, tout comme Derand, Jousse semble bien avoir été très impliqué dans la construction de la tribune d’orgues, bien qu’il n’en fût pas l’auteur. Plusieurs historiens lui en ont en effet attribué la paternité, sur la foi de ses écrits. Nous savons aujourd’hui que sa construction a fait l’objet d’un marché passé en 1637 entre les Jésuites et un architecte de La Flèche, Jacques Nadreau.
Cet ouvrage se présente comme un véritable chef-d’œuvre de stéréotomie. Adossée au mur occidental de la chapelle, la tribune est portée par trois voûtes qui prennent elles-mêmes appui sur deux piliers ornés d’atlantes, une trompe centrale en berceau et deux trompes coniques latérales, toutes trois en tour ronde. Son exécution supposait une maîtrise consommée de la taille des pierres qui, en l’absence de toute autre documentation, ne pouvait être acquise que par la transmission de « recettes » de compagnons. Les Jésuites avaient bien conscience du caractère hardi de ce voûtement, puisqu’ils avaient exigé de Nadreau une garantie décennale, clause qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans les très nombreux contrats qu’ils furent amenés à souscrire pour la construction de leur collège. De toute évidence, cette mise en œuvre avait exigé une connaissance approfondie de la stéréotomie, encore envisagée de manière expérimentale à cette époque.
Il se trouve que l’achèvement de la tribune a été suivi de peu par la parution de deux traités consacrés à l’art de la taille des pierres, Le Secret d’architecture par Jousse en 1642, et L’architecture des voûtes par Derand quelques mois plus tard, en 1643. Le caractère simultané de ces deux éditions n’est certainement pas le fait d’une coïncidence, d’autant plus que, dans la préface de son ouvrage, Derand ne manque de formuler des remarques acerbes à l’égard de son devancier. Le ton même de ces reproches laisse percevoir une certaine intimité entre les deux hommes, où perce un esprit de concurrence, probablement forgé sur le chantier du collège de La Flèche.
Les conditions exceptionnelles du contrat de la tribune d’orgues montrent que ce chantier n’a pas cherché à éviter les expériences aventureuses : on imagine aisément l’atmosphère de débat qu’une telle situation a pu générer. Les célèbres reproches de Martellange formulés à l’égard du projet de son prédécesseur Louis Métezeau, le tout premier architecte du collège, en avaient donné une sorte d’avant-goût. Dans la chapelle, le travail de Martellange est lui-même mis à mal par le retable de Derand qui en ignore ostensiblement le parti initial, comme si La Flèche avait constitué le théâtre élargi du conflit qui avait opposé les deux architectes à propos de la construction de l’église de la maison professe à Paris, l’actuelle église Saint-Paul-Saint-Louis.
Il ne fait guère de doute que Mathurin Jousse, véritable « honnête homme » avant la lettre (sa bibliothèque, dévoilée par son inventaire après décès, révèle des centres d’intérêt extrêmement variés) qui, depuis les années 1600, ne s’est guère éloigné de La Flèche, s’est abondamment nourri de cette atmosphère.

François Le Bœuf (Service régional de l’Inventaire, DRAC Pays de la Loire) – 2006

     En annexe à son Théâtre, Mathurin Jousse a ajouté un « Brief traicté des cinq ordres des colomnes » particulièrement intéressant par l’originalité de la culture qu’il manifeste. Nous savons que la bibliothèque de Jousse était riche en ouvrages d’architecture. Il cite ici les grands noms de la théorie des ordres, Vitruve, Sagredo, Philibert De l’Orme et Vignole, mais aussi « des cinq ordres des Colomnes qui se vendent en feuilles, imprimées à Lyon ». Par là, Jousse désigne très probablement la première traduction française du traité de Hans Blum, Quinque columnarum exacta descripti publiée à Zurich en 1550. La Bibliographie Lyonnaise de Baudrier signale en effet la publication en 1562 par Jean Lemaistre d’un grand in-folio de cinq feuillets intitulé Les cinq ordres des colomnes de l’architecture, c’est à savoir la Tuscane, Dorique, Yonique, Corinthie et composite... nouvellement pourtraites et mises en lumière, au service et proufit des paintres, massons, tailleurs de pierres, orfevres. L’examen des planches de Jousse confirme cette source : les représentations des ordres reprennent fidèlement les modèles de Blum. Seule l’avant-dernière planche avec la colonne torse (p. 13), vient de Vignole. Quant à la dernière page (p. 14), avec les détails des ordres dorique et corinthien, elle présente des formes plus originales, qui n’ont pas de précédent évident.
Il est fort intéressant de constater le succès de Hans Blum en France encore au XVIIe siècle. Après Jean Bullant en 1564 et Julien Mauclerc en 1600, Jousse a, semble-t-il, fort apprécié l’efficacité de la méthode de représentation de l’Allemand, essentiellement graphique et, dans sa simplicité géométrique, parfaitement adaptée à une clientèle d’artisans.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2006

Bibliographie critique

H.-L. Baudrier, Bibliographie lyonnaise : recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon au XVIe siècle, Paris, de Nobele, 1964, 1, p. 244.

F. Le Bœuf, « Mathurin Jousse, maître serrurier à La Flèche et théoricien d'architecture (vers 1575-1645) », In situ, 1, 2001.

P. Le Bœuf, « La Bibliothèque de Mathurin Jousse : une tentative de reconstitution », In situ, 1, 2001.

É. Pasquier & V. Dauphin, Imprimeurs et libraires de l’Anjou, Angers, Société anonyme des éditions de l’Ouest, 1932, p. 311-326.

Y. Pauwels, « Hans Blum et les Français, 1550-1650 », Scholion. Mitteilungsblatt der Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, 6, 2010, p. 77-88.

É.-C. Pecquet, « Mathurin Jousse, architecte et ingénieur de la ville de La Flèche au XVIIe siècle », Cahiers Fléchois, 6, 1984, p. 28-41.

J.-M. Pérouse de Montclos, L’architecture à la française, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1982, p. 96-99.

R.-A. Weigert, Inventaire du Fonds Français. Graveurs du XVIIe siècle..., Paris, Bibliothèque nationale, 5, 1968, « Jousse (Mathurin) », p. 615-617.

 

 

Notice

Le Theatre de l’art de charpentier, enrichi de diverses figures, avec l’interpretation d’icelles / fait et dressé par Mathurin Jousse, de la Fleche. - A La Fleche : chez Gorge [sic] Griveau, imprimeur du roy, avec privilege de sa Majesté 1627. – Frontispice -2 pages de dédicace-176-14 p.
Signatures : [2*]a-aii, A4B2C4D6E2F4-P4Q6R2-V2X4Y4Z6A2-C2D.
Frontispice gravé sur cuivre, lettres ornées, bandeaux, culs de lampes sur bois d’une grande diversité, et planches gravées sur bois ; 30 x 19 cm. Le frontispice représentant un arc triomphal sert de page de titre.
Pagination très erronée à partir de la p. 28, reprend à peu près normalement à partir de la p. 64 mais avec 4 unités de trop. Manque la planche de la fig. 86. La planche 99 est intitulée par erreur « 96 ».
Index de matières nommé « Table » p. 175-176. Contient en fin d’ouvrage : Brief traicté des cinq ordres des colomnes / [Mathurin Jousse], 14 p.
Page de titre sans adresse, ce qui suppose que le texte ne fut jamais publié en tant que tel. Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 1250 (n° inventaire 20802).
Brunet III, 581. L’ouvrage dans son édition originale ne figure ni dans le catalogue de Berlin, ni dans celui du RIBA, ni dans la collection Millard de Washington, ni dans le Fowler. La Bibliothèque nationale de France en conserve 2 exemplaires (Fol V 7439 et V 602), la bibliothèque de l’Arsenal un autre (Fol S 1810 (2).
*Notes :
- Plusieurs planches montées au mauvais endroit : les figures 24-26 et 27-28 sont inversées ; figure 99 dite 96 placée après la 94-95.
- Reliure de veau clair du XIXe siècle signée Niédrée, avec triple filet d’encadrement et fleuron aux 4 angles, dos à 5 nerfs et fleuron aux entrenerfs, roulette dorée sur le bord des contreplats, identique à celle effectuée pour le Secret d’architecture du même auteur.
- Don de la veuve de l’architecte Joseph Le Soufaché, 1889.
- Reliure avec son chiffre estampé au bas du dos et ex-libris imprimé collé sur le contreplat supérieur.