LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Bosse, Abraham
Desargues, Girard
Titre
La maniere universelle de M.r Desargues Lyonnois, pour poser l’essieu... Par A. Bosse...
Adresse Paris, P. Des Hayes, 1643
Localisation Paris, Ensba, Les 108
Mots matière Cadrans solaires, Gnomonique

English

     En 1640, à Paris, Girard Desargues fit paraître deux textes témoignant de l’inventivité mathématique du grand géomètre dans le domaine déjà un peu démodé de la construction des cadrans solaires (Brouillon project d’exemple d’une manière universelle... touchant la practique du trait à preuves pour la coupe des pierres en l’Architecture... ; Brouillon project... touchant une maniere universelle de poser le style et tracer les lignes d’un Quadran aux rayons du Soleil...). Utilisant comme d’habitude un style très concis, voire sibyllin, il s’adresse plutôt aux théoriciens qu’aux artisans. Il prévient : « (cette) esquis ou esbauche, n’est pas un ouvrage à examiner en détail, comme alors qu’il paroistra pour achevé ; que les sçavants n’en considereront que le fonds de la pensée ». Trois ans plus tard Abraham Bosse, graveur en taille douce de grande réputation, ami du géomètre et suffisamment savant pour bien le comprendre, mit à la portée de tous la pensée de Desargues.
Ce dernier propose une nouvelle manière de déterminer en un lieu quelconque la direction de l’axe du monde, c'est-à-dire l’axe des pôles célestes réglant le mouvement apparent des astres autour de la terre. Compte tenu des distances astronomiques, on peut considérer que tout point du globe terrestre est situé sur cet axe. Cet axe est en particulier celui du cône engendré par les rayons solaires atteignant un point donné pendant le déplacement journalier du soleil. Il est important pour un fabricant de cadrans solaires de bien positionner l’axe du monde car le style (le gnomon, ou l’essieu) du cadran, dans la plupart des réalisations, a la direction de cet axe. Selon la tradition, à l’époque de Desargues, on scelle le style en un point d’une surface plane en déterminant la méridienne passant par ce point et en utilisant la latitude du lieu.
Descartes est l’un des savants qui examinèrent la nouvelle méthode proposée par Desargues. Dans une lettre adressée à Mersenne le 28 janvier 1641, il écrit : « Je viens de recevoir vostre derniere du dix-neufiesme Janvier, avec le papier de M. des Argues, que je viens de lire tout promptement. L’invention en est fort belle, et d’autant plus ingénieuse qu’elle est plus simple. » Dans la suite de son commentaire Descartes conseille même une petite modification technique pour rendre plus opérationnel le procédé mis en avant par Desargues. D’autres furent moins flatteurs car la méthode de Desargues, impeccable sur le plan théorique, offre des difficultés de réalisation, notamment lorsque le triangle de base de sa construction dégénère pratiquement en un segment aux périodes proches des équinoxes. Une critique anonyme de cette méthode paraît dans un recueil de pamphlets anti-arguésiens édité à Paris en 1642, chez Tavernier et Langlois, sous le titre Advis charitables sur les diverses œuvres et feuilles volantes du sieur Girard Desargues Lyonnois. D’autres critiques, mieux argumentées, seront à nouveau formulées par Jacques Curabelle, en janvier 1644, dans son Examen des œuvres du Sieur Desargues.
Entre-temps, à la fin de l’année 1643, Bosse a publié son traité de gnomonique. Cela fait plusieurs années que le célèbre graveur et le savant se sont rencontrés ; en 1639 certainement, puisque Desargues l’atteste, mais sans doute deux ou trois ans plus tôt. En quatre ans, Abraham Bosse publia successivement trois ouvrages sur la trilogie arguésienne, stéréotomie (1643), gnomonique (1643) et perspective (1647), imprimés tous les trois à Paris par Pierre Deshayes et couverts par le même privilège daté du 3 novembre 1642. La maniere universelle de Mr Desargues lyonnois pour poser l’essieus est dédié à Sublet de Noyers, surintendant des Bâtiments. Celui-ci est connu pour son zèle en faveur des arts, notamment par l’intermédiaire des frères Fréart, ses cousins, eux-mêmes proches de Bosse. C’est aussi un protecteur de Desargues qu’il fit travailler au Louvre en 1639-1640 pour expérimenter ses méthodes de stéréotomie. L’ouvrage rédigé et illustré par Bosse est sur le fond totalement arguésien, mais sur la forme très loin des « esquisses ou ébauches » de Desargues. En effet Abraham Bosse met en œuvre dans ce traité une pédagogie novatrice qu’il explicite dans les pages 1 à 16 qui se retrouvent d’ailleurs telles quelles dans ses deux autres traités. En particulier il partage ses lecteurs en trois catégories. Aux théoriciens il apporte des explications courtes et savantes. À ceux qui connaissent la géométrie pratique il donne des explications plus longues. Et aux ouvriers il fait, sans justification précise, des descriptions détaillées des méthodes utilisées. Enfin, il rédige pour une fois des explications particulières pour toutes sortes de personnes, considérant « que l’envie de se divertir à la pratique des Cadrans au Soleil, pouvait bien venir à des personnes qui n’ont du tout point de commencement de Géométrie pratique & qui n’y manquent pas de bonne disposition ».
Alors que Desargues était avare de figures, pour ne pas mettre en doute la capacité de ses lecteurs et, disait-il, ne pas les détourner de l’examen de sa géométrie, Bosse, au contraire, utilise son talent de graveur pour les multiplier. Il réalisa 28 planches différentes, dont certaines, comme les planches fondamentales 8 et 9, sont utilisées de nombreuses fois avec des commentaires assortis aux différentes catégories de lecteur. De fait le traité de Bosse reprend l’essentiel des écrits de Desargues. Il expose d’abord (pl. 1-12) la méthode arguésienne pour poser le style, avec une modification judicieuse de la suggestion pratique donnée par Descartes (Bosse utilise une espèce de piroüete, pl. 2). Une fois le style placé, le tracé des lignes horaires (le jour étant divisé en 24 heures de même durée, ce sont les « heures égales à la française ») se fait selon les méthodes de Desargues, qui ne sont guère différentes des méthodes classiques de l’époque. C’est l’objet des planches 13 à 21. Pour la récréation des curieux, Bosse y ajoute des éléments traditionnels des cadrans solaires, les lignes des signes (du Zodiaque) pour avoir un calendrier solaire, les lignes des heures italiques, babyloniennes et antiques (qui correspondent à des divisions horaires particulières du jour) et enfin, sur les conseils de Desargues, des considérations sur la hauteur du soleil sur l’horizon et son orientation. Dans cette dernière partie, la planche 22 « des pièces à machiner », décrit quelques outils permettant de réaliser les constructions des différentes lignes du cadran. Bosse invente souvent ce genre de machines, dont on ne sait pas si elles ont été réellement fabriquées. Elles témoignent simplement de la richesse de son imagination pour coller au concret et renforcent la didactique des figures.
L’ouvrage parut à une époque où sortent de nombreux écrits sur les cadrans solaires. C’est plutôt, comme le dit Bosse, un sujet de curiosité pour « d’habiles contemplatifs ». Il fut traduit en anglais en 1659. Pour Desargues et Bosse la gnomonique est un thème mineur mais utile pour illustrer l’invention géométrique du premier et les capacités pédagogiques du second. Cet ouvrage est un essai qui prépare les ouvrages majeurs sur la perspective et l’architecture.

Jean-Pierre Manceau (Tours) – 2011

Bibliographie critique

A. Blum, L’œuvre gravé d’Abraham Bosse, Paris, Morancé, 1924, n° 206-228.

J. Dhombres & J. Sakarovitch (éd.), Desargues en son temps, Paris, Blanchard, 1994.

G. Duplessis, « Catalogue de l’œuvre d’Abraham Bosse », Revue universelle des arts, Paris, 1859, n° 356-472.

M. Le Blanc, D’acide et d’encre. Abraham Bosse (1604 ? - 1676) et son siècle en perspective, Paris, CNRS Éditions, 2004.

J.-P. Manceau, « Abraham Bosse, un cartésien dans les milieux artistiques et scientifiques du XVIIe siècle », S. Join-Lambert & M. Préaud (éd.), Abraham Bosse savant graveur, Tours, vers 1604-1676, Paris, Paris/Tours, Bibliothèque nationale de France/Musée des Beaux-Arts de Tours, 2004, p. 53-63.

J.-P. Manceau, notice 228 du catalogue d'exposition, Abraham Bosse savant graveur, Tours, vers 1604-1676, Paris, S. Join-Lambert & M. Préaud (éd.), Paris/Tours, Bibliothèque nationale de France/Musée des Beaux-Arts de Tours, 2004.

R. Taton, L’œuvre mathématique de G. Desargues, Paris, PUF, 1951.

Notice

La Maniere universelle de Mr. Desargues, Lyonnois, pour poser l’essieu, et placer les heures et autres choses aux cadrans au soleil, par A. Bosse graveur en taille douce, en l’isle du Palais devant la Megisserie, à la Roze rouge. - A Paris : de l’imprimerie de Pierre Des-Hayes, 1643.
Page de titre, [page blanche], frontispice gravé sur cuivre, [page blanche], [4] pages de dédicace en caractères italiques dont la 1ère est gravée, 28 p., [2] pl. gravées sur cuivre, 68 pages imprimées en caractères romains entremêlées de 28 planches gravées ; in-8°. Le frontispice reprend le texte du titre et ajoute la mention « avec privilège ». Une deuxième page de titre, gravée, est insérée après l’Avant-propos et le texte du privilège. Le titre courant nomme au fur et à mesure la planche gravée décrite dans le texte.
Un texte de Girard Desargues p. 25-28 intitulé « Reconnoissance de M. Desargues » atteste la conformité du texte et des gravures d’Abraham Bosse avec sa découverte mathématique et avec ses dessins.
Duplessis 1859, n° 473-503 ; Blum n° 323-353.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 108.
*Notes :
- La 1ère planche est reprise deux fois, au verso du second titre, et face à son commentaire.
- Reliure de parchemin sans décor, gardes blanches, tranches rouges, 17,5 x 11,5 cm, du temps (le papier imprimé de remploi pour les gardes est peut-être un feuillet du livre).
- Inscription manuscrite à l’encre brune sur le plat supérieur : « Vente Morel d’Arleux... » et tampon gras MA sur la page de garde renvoyant à Louis-Joseph Morel d’Arleux (1755-1827), conservateur des dessins au Louvre (vente 11-2-1828, Lugt n°11624).
- Donation de l’architecte Joseph Lesoufaché (1804-1887) à l’École nationale des Beaux-Arts, 1889.