LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Perret, Jacques
Leu, Thomas de
Titre Des fortifications et artifices...
Adresse [Paris, 1601]
Localisation Paris, Ensba, Les. 1698
Mots matière Architecture privée, Fortifications, Temples, Urbanisme

English

     L’ouvrage de Jacques Perret des fortifications et artifices. Architecture et perspective paraît pour la première fois en 1601. Son auteur, un « gentilhomme savoysien » originaire de Chambéry, est documenté dès 1568 dans les archives de Savoie en tant que « lecteur ès arts d’arithmétique et géométrie » au collège des Jésuites de sa ville natale. Perret est également souvent cité dans les notices bibliographiques comme ingénieur militaire, charge partagée par d’autres maîtres de mathématiques contemporains tels Guillaume Flamant et Renaut Sedanois. Bien qu’aucune source ne vienne confirmer cette hypothèse, son ouvrage démontre qu’il était versé dans l’art militaire moderne dont il connaissait les principes et les auteurs classiques les plus importants (Végèce et Frontin). Actif en Savoie jusqu’en 1575, Perret, selon Patricia Grady, émigra probablement à Paris à la fin du XVIe siècle après s’être converti au protestantisme. C’est là que, jouissant de la protection de Catherine de Parthenay et de son fils le duc de Rohan, dont les armes figurent sur quinze planches de son traité, il lui fut possible de publier son ouvrage. La suite de sa carrière n’est pas connue mais ses dates d’activité, établissant sa naissance vers 1540-1545, permettent de suggérer qu’il s’éteignit entre 1610 et 1619, avant la piètre réédition de son traité parue en 1620 qu’il n’avait visiblement pas vérifiée.
Quatre éditions principales Des fortifications et artifices furent respectivement publiées en 1601, 1602, 1613 et 1620. La première, qui paraît sans lieu ni date d’édition, ne comporte qu’une dédicace au roi datée du 1er juillet 1601. Elle est rapidement suivie d’une deuxième édition imprimée à Paris accompagnée d’un privilège royal du 4 juillet de la même année. Ces deux parutions datées de 1601 sont similaires. Elles se composent d’un frontispice et d’une dédicace introduisant vingt-deux planches gravées par Thomas de Leu (actif de 1576 à 1614) et dix-sept commentaires de Jacques Perret. Les planches, encadrées de citations extraites de l’Ancien Testament, représentent en plan et en perspective des modèles de fortifications et de bâtiments particuliers. En 1602, l’ouvrage de Perret est simultanément réimprimé en allemand et en français à Francfort par la veuve et les deux fils de Théodore de Bry. Bien que fidèles au texte de 1601, ces deux éditions proposent une nouvelle série de vingt-huit planches. En 1613, les frères de Bry publient à Oppenheim une nouvelle version abrégée en allemand imprimée par Hieronymus Galler. Enfin, une dernière édition française très lacunaire paraît en 1620 (dédicace au roi du 1er juillet 1620). Textes et illustrations y sont incomplets et leur organisation ne correspond à aucune logique éditoriale. Hormis ces ouvrages, il existe également dans les bibliothèques européennes quelques exemplaires qui ne correspondent à l’organisation d’aucune des grandes éditions citées. C’est le cas notamment de ceux conservés à la bibliothèque du château de Pau et au cabinet des Estampes de la BnF.
Par rapport à l’édition originale les seules modifications apportées dans l’exemplaire de la la bibliothèque de l’Ensba sont la dédicace au roi rejetée en fin de volume, l’ordre des planches (les perspectives sont placées avant les plans au sol) et un doublon (la planche 20 est reproduite deux fois aux ff. 57 et 62). Malgré la qualité assez médiocre des planches, cet exemplaire n’en demeure pas moins l’un des seuls complets de la première édition de l’ouvrage de Perret conservés dans les fonds parisiens.
L’ouvrage est divisé en trois grands thèmes : villes idéales fortifiées et citadelles, architecture religieuse et architecture privée. Perret propose tout d’abord une série de cinq villes régulières fortifiées composées de différents types de fronts allant du carré aux polygones de cinq à vingt-trois bastions. Accompagné de plans et de perspectives urbaines à grande échelle qu’il appelle « perspective du dehors » et « perspective du dedans », ce travail présente une iconographie de villes idéales où tous les ouvrages sont répétés à l’identique. Bien que ses projets augmentent successivement en taille et en complexité, il utilise pour chacun d’entre eux une combinaison d’éléments urbains similaires composée de pavillons d’angle, de maisons en rangées, de terrasses reliées entre elles et d’arcades. Cette systématisation de fortifications régulières et d’ouvrages d’architecture sériels est intéressante. Elle s’inspire à la fois de traités militaires majeurs du XVIe siècle dont ceux de Pietro Cataneo I quattro primi libri di architettura (1554) et de Girolamo Maggi et Giacomo Castriotto Delle fortificazione della citta (1583), de réalisations iconiques dont les citadelles de Turin et de Milan (qu’il cite dans son texte) et de programmes urbains royaux initiés durant le règne de Henri IV. Ce dernier point place Perret au cœur des recherches urbaines contemporaines qui seront consacrées par la réalisation des places royales parisiennes. La deuxième partie du traité de Perret, consacrée à l’architecture religieuse, est dédiée aux temples huguenots. Tout comme pour la série de villes idéales fortifiées, Perret décline ses trois modèles en plusieurs dimensions (petit, moyen et grand) et accompagne chacun d’entre eux de courts commentaires. Ce mélange des genres, architecture militaire et religieuse, est sans précédent dans l’histoire des traités de fortifications et, si l’on considère que le traité de Perret a été publié trois ou quatre ans après la proclamation de l’Edit de Nantes, il prend une valeur de manifeste. La précision de ses perspectives, plus proches visuellement de « vues » que de projets participe aussi certainement de cette volonté de légitimation de la religion protestante. La dernière partie du traité concerne différents types d’architecture privée : métairies, habitations, maisons, châteaux et pavillon royal. Ses projets se développant dans des lignes verticales, avec de nombreuses fenestrations et des niveaux clairement individualisés révèlent, en premier lieu, l’influence de l’architecture des pays réformés, notamment des Pays-Bas, des villes de la ligue Hanséatique et de l’Angleterre. Néanmoins, la structuration du discours de Perret, organisé en fonction du rang social des occupants, rappelle également quelques unes des préoccupations de Serlio sur l’architecture domestique. Enfin, la volonté de créer un type d’architecture collective inspirée des habitats communautaires protestants, faisant cohabiter plusieurs propriétaires dans une même maison desservie par une entrée commune, n’est pas étrangère à certains modèles d’habitations du Livre d’architecture de Jacques Androuet du Cerceau paru en 1559.
Le traité de Perret représente une œuvre à part parmi les écrits militaires français de la première moitié du XVIIe siècle. Son titre, celui d’un opus militaire dédié à l’art de la fortification moderne, l’a desservi. Alors que la première moitié du XVIIe siècle constitue une époque charnière pour la mise en place de nouveaux systèmes de bastionnements « à la française », expérimentés par Jean Errard de Bar-le-Duc, contemporain de Perret, et immédiatement repris et adaptés par Blaise de Pagan, Jean Fabre et Antoine Deville, Des fortifications et artifices est apparu comme une oeuvre hybride et superfétatoire. L’extrême sophistication des dessins de Perret « inventor », mis en valeur par les gravures de Thomas de Leu, a également participé de ce courant d’opinion. La régularité de ses villes fortifiées et citadelles idéales et la qualité picturale de ses perspectives, notamment celles en « haulte assiette » proches des scenographiae de du Cerceau, ont rapidement fait classer son ouvrage comme une « curiosité » architecturale, précieuse dans les collections princières pour ses gravures exceptionnelles, sans que l’on rende hommage à la vision très personnelle de ce mathématicien huguenot utopiste.

Émilie d’Orgeix (Docomomo International,
Cité de l’architecture et du patrimoine) – 2006

Bibliographie critique

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Notice

Des fortifications et artifices. Architecture et perspective de Iaques Perret, gentilhomme savoysien. - [Paris], [1601]. - Frontispice, 22 planches gravées, 20 feuillets de texte imprimé (privilège et dédicace au roi compris). Frontispice et planches signées « Thomas de Leu sculpsit ».
Date tirée de la dédicace (1er juillet 1601) et du privilège (4 juillet 1601).
BnF, Estampes, Inventaire du fonds français Graveurs du XVIIe siècle, I, p. 476-484 ; Millard 139.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 1698.
*Notes :
- Dans cet exemplaire, l’ordre des planches en plan et en perspective a été inversé et les perspectives sont placées avant les plans au sol.
- Reliure de parchemin, sans marque de provenance.
- Legs de l’architecte Joseph Le Soufaché à l’École des Beaux-Arts, 1883.