LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Desgodets, Antoine
Titre Les edifices antiques de Rome...
Adresse Paris, J.-B. Coignard, 1682
Localisation Paris, Binha, Fol Res 633
Mots matière Édifices antiques
Transcription du texte

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     Antoine Desgodets (Desgodetz) (1653-1728), professeur à l’Académie royale d’architecture de 1719 à 1728 après François Blondel (1671-1686) et Philippe de La Hire (1686-1718), est passé à la postérité pour son ouvrage d’archéologie intitulé Les edifices antiques de Rome mesurés et dessinés très exactement, publié à Paris en 1682 par Jean-Baptiste Coignard. « Imprimeur du Roi » et de l’Académie française (actif de 1658 à 1689), Coignard avait publié neuf ans auparavant, en 1673, la traduction et les commentaires de Claude Perrault sur les Dix livres d’architecture de Vitruve et publiera en 1685 la traduction de Charles-Augustin d’Aviler du sixième livre de L’idea universale dell’architettura de Vincenzo Scamozzi (Venise, 1615). La splendide édition in-folio des Édifices antiques de Rome contient 138 planches de plans, coupes et détails de vingt-cinq monuments antiques de Rome gravés d’après les dessins d’Antoine Desgodets par Louis de Chastillon, Simon de La Boissière, Nicolas Bonnard, Nicolas Guérard, Daniel Marot, Georges Tournier, Jean-Baptiste Broebes, ainsi que par Jacques et Pierre Le Pautre, la plupart graveurs du Roi. Après une courte description, l’auteur note, lorsqu’il y a lieu, les divergences avec le texte de Vitruve et dresse la liste des erreurs de mesures des ouvrages antérieurs de Sebastiano Serlio, d’Andrea Palladio, d’Antonio Labacco et de Roland Fréart de Chambray. Desgodets s’appuie sur ses propres relevés des monuments antiques mesurés avec une précision scientifique et enregistrés à la fraction de pouce près lesquels sont connus par un manuscrit préparatoire récemment publié (ms. 2718, Bibliothèque de l’Institut de France ; Cellauro/Richaud 2008). Dans cette entreprise, Desgodets a bénéficié du mécénat actif de Jean-Baptiste Colbert, surintendant des bâtiments du Roi, comme le prouve la subvention officielle de 2000 livres accordée pour cette publication.
Cet ouvrage est le résultat d’un séjour de seize mois en 1676-1677 à Rome et en Italie, au cours duquel l’auteur a élaboré un premier carnet de dessins à partir duquel fut élaboré le manuscrit préparatoire autographe de la publication des Edifices antiques. Ce manuscrit achevé en 1679 et encore inédit provient de la bibliothèque personnelle de Colbert, auquel il fut sans doute donné par Desgodets.
Ce fut probablement Blondel – son tuteur à l’Académie d’architecture – qui suggéra à Desgodets la méthode à suivre pour ses relevés et qui l’envoya en Italie et particulièrement à Rome en 1674-1677 – non pas, semblerait-il, en tant que pensionnaire de l’Académie de France à Rome, mais en mission spéciale, puisque son nom n’apparaît pas dans les archives de cette institution. Desgodets partit pour Rome en passant par Marseille en septembre 1674, en compagnie de l’architecte Charles-Augustin d’Aviler (1653-1701) qui était envoyé à l’Académie de France, où il fut l’un des premiers pensionnaires, et de l’antiquaire et numismate Jean Foy-Vaillant (1632-1706) qui venait de publier un ouvrage sur les médailles grecques d’époque romaine et se préparait à voyager en Méditerranée avec son ami Jacob Spon (1647-1685). Lors de la traversée, leur navire fut capturé par des corsaires ottomans et ses occupants faits prisonniers comme esclaves à Alger puis à Tunis. Après plus d’un an de captivité, Desgodets et d’Aviler furent libérés le 22 février 1676 lors d’un échange de prisonniers arrangé par Colbert, et atteignirent Rome peu après.
Desgodets reste à Rome jusqu’à l’été 1677, et durant cette courte période de seize mois il s’attache à réaliser sa mission, c’est-à-dire prendre les mesures exactes des édifices antiques tels qu’ils existaient alors. Dans son obsession de la mesure exacte, il est proche de l’auteur français anonyme qui commence sa Description de la Rome moderne à la même époque, et pour qui les mesures sont aussi une sorte d’idée fixe. Un autre français à Rome est concerné par cette question : Adrien Auzout (1622-1691), membre fondateur de l’Académie des sciences. Retiré de l’Académie en 1668, il s’installe à Rome en 1671, où il semble avoir vécu jusqu’à sa mort, en 1691. Là, il s’intéresse particulièrement à l’architecture antique et à la mécanique hydraulique. L’auteur de la Description ajoute que durant son séjour à Rome, il était devenu l’un des véritables érudits de son époque. Auzout faisait partie de la « culture de la mesure » qui prenait sa source dans le cercle de Colbert à Paris, et qui avait atteint Rome précisément dans les années où Desgodets et l’auteur français anonyme de la Description étudiaient à Rome et se consacraient à la mesure de l’architecture antique et moderne avec une obstination touchant au fanatisme.
Alors que quarante-huit édifices sont représentés dans le manuscrit préparatoire, vingt-cinq seulement figureront dans les Edifices antiques de Rome de 1682. Lorsque le relevé le nécessitait Desgodets n’hésita pas pour prendre des mesures à entreprendre des fouilles ou à dresser des échelles : « J’ay vérifié le tout plusieurs fois pour me confirmer dans une certitude dont je pûsse répondre, ayant fait fouiller ceux qui estoient enterrez, & fait dresser des eschelles & autres machines pour approcher de ceux qui estoient beaucoup élevés, afin de voir de prés & prendre avec le Compas les hauteurs & les saillies de tous les membres, tant en general qu’en particulier jusqu’aux moindres parties ». Pour le temple de la Fortune virile il écrit encore : « Ce Temple est enterré jusqu’au dessus des bazes des colonnes. L’ayant fait foüiller en la longueur de trois entrecolonnemens vers le devant où il est ruiné, j’ay trouvé que le soubassement y compris les deux socles ou marches, a de hauteur un peu plus de deux cinquièmes de la hauteur de la colonne avec la baze & le chapiteau ». Il indique aussi les difficultés qu’il rencontre par exemple pour le temple de Vesta à Rome : « Ayant fait foüiller j’ay trouvé que ce socle ou marche a de hauteur neuf à dix pouces, & qu’au dessous il y a un mur qu’on ne voulut point me permettre de sonder ainsi que j’en avais envie ». Dans les Edifices antiques, les monuments sont présentés en plans, élévations et coupes longitudinales et transversales, accompagnés de planches synthétiques regroupant les piédestaux, les bases, les chapiteaux et les entablements. Vitruve avait distingué d’abord le plan de l’édifice qu’il appelle ichnographia, les élévations des murs extérieurs qu’il nomme orthographia et enfin la scænographia interprétée par la plupart des commentateurs du XVIe siècle comme un rendu en perspective. Desgodets n’utilise jamais la perspective à l’instar de Daniel Barbaro qui jugeait cette technique de représentation architecturale moins utile que la coupe à projection orthogonale abondamment utilisée dans le recueil. Cette technique de représentation scientifique a pour origine la célèbre lettre de Raphaël à Léon X (vers 1519) dans laquelle, l’auteur annonçait son intention de dessiner ainsi tous les édifices antiques de Rome. Les illustrations de Desgodets montrent cependant un progrès considérable dans le rendu des ruines en comparaison avec les ouvrages précédents et apparaissent comme le début de la tradition illustrative scientifique de l’architecture antique.
À la différence des ouvrages de Serlio et de Palladio ainsi que des éditions de Vitruve dont celle de Claude Perrault, aucune reconstitution d’édifices antiques n’est présente dans les Edifices antiques. Desgodets s’attache à une représentation objective des ruines telles qu’elles se présentaient alors au visiteur. Plusieurs édifices sont d’ailleurs illustrés dans un état de ruine couverte de végétation laissant ainsi transparaître un certain romantisme qui contraste avec ses relevés rigoureux, combinaison caractéristique de l’archéologie de la Renaissance dont un bon exemple précoce est le codex Barberini de Giuliano da Sangallo, commencé en 1465 à Rome et conservé aujourd’hui à la Bibliothèque vaticane.
La préparation de la publication aura demandé à Desgodets sept ans de travail. Parrainé par l’Académie, les Edifices antiques témoignent de l’importance de l’Antiquité en France et de la position conservatrice de l’Académie par rapport à la Querelle des Anciens et des Modernes. Il constitue en quelque sorte le pendant aux commentaires et à la traduction de Vitruve de Claude Perrault, publiés chez le même éditeur en 1673.
Les Edifices antiques devinrent une référence jusqu’au XIXe siècle. Par son attention à la précision des mesures, le livre constitua après 1750 un modèle pour les publications des expéditions archéologiques et plus spécialement celles de James Stuart et Nicholas Revett à Athènes. Il fut réédité à Paris en 1779 par Claude-Antoine Jombert – qui venait d’acquérir les 138 cuivres originaux des descendants de l’architecte. Il fut traduit en anglais par George Marshall sous le titre The ancient buildings of Rome (Londres, 1771-1795) et en italien sous le titre Gli edifizi antichi di Roma (Rome, 1822-1843).

Louis Cellauro et Gilbert Richaud (Lyon) – 2008

Bibliographie critique

A. Desgodets, Antoine Desgodets : Les Edifices Antiques de Rome, Édition fac-similé du Manuscrit 2718 de l’Institut de France, avec transcriptions, annotations, et reproduction des planches du volume publié en 1682 par L. Cellauro & G. Richaud, Studi sulla cultura dell’antico, 7, Rome, De Luca Editore d’Arte, 2008.

A Desgodets, Les Edifices antiques de Rome dessinés et mesurés très exactement par Antoine Desgodets architecte, Fac-similé de l’édition de Jean-Baptiste Coignard, imprimeur du Roi, Paris, 1682, introduction et notices de H. Rousteau-Chambon, Paris, Picard, 2008.

W. Herrmann, « Antoine Desgodets and the Académie Royale d’Architecture », Art Bulletin, 40, 1958, p. 23-53 ; 41, 1958, p. 127-128.

D. Wiebenson, « Antoine Desgodets, Les Edifices antiques de Rome dessinés et mesurés très exactement », D. Wiebenson & C. Baine (éd.), The Mark J. Millard Architectural Collection, 1, French Books, Sixteenth through Nineteenth Centuries, Washington/New York, National Gallery of Art/Braziller, 1993, n. 62, p. 148-151.